lundi 13 février 2017

Jean-Claude Juncker face à la désunion de l'Union européenne

Jean-Claude Juncker face à la désunion européenne

Risque de sortie de la Grande-Bretagne de l’UE, crise grecque, crise migratoire... Le président de la Commission s’exprime mercredi au Parlement face à une Europe désunie.
LE MONDE | • Mis à jour le | Par
Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, lors d'une conférence de presse des dirigeants de la zone euro, le 7 juillet 2015.

Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, doit prononcer, mercredi 9 septembre, devant le Parlement de Strasbourg, son « discours sur l’état de l’Union ». Il prolonge ainsi la tradition instaurée en 2010 par son prédécesseur, José Manuel Barroso. Un propos très attendu, mais que l’ex-premier ministre luxembourgeois aurait voulu un peu plus optimiste : la situation qu’affronte l’institution qu’il dirige est difficile, voire inquiétante. Lui qui avait évoqué, lors de son entrée en fonctions, une « Commission de la dernière chance » se persuaderait presque que l’année qui s’ouvre est celle de la dernière chance pour sa Commission.

De toute part – y compris au sein du collège des commissaires – affleure l’idée que l’Europe, confrontée à une multitude de crises (la Grèce, la question des réfugiés, l’Ukraine, le possible « Brexit » britannique, etc.) n’a jamais été aussi proche de la désintégration, de la désunion européenne. Les fractures sont aujourd’hui béantes entre les Etats fondateurs (Allemagne, France, Italie, Benelux) et les derniers entrants, pays de l’Europe centrale et orientale.
En 2014 déjà, le ton du président était grave. Lors de son discours d’investiture, à la mi-juillet, puis pour la présentation de son collège, le 10 septembre 2014, M. Juncker, candidat des conservateurs européens (PPE), promettait une institution plus « politique », « grande sur les grandes choses, petite sur les petites choses ». A l’époque, le score des populistes eurosceptiques lors du scrutin avait créé un choc, avec, notamment, un Front national arrivé en tête en France.

Bilan mitigé sur l’emploi

M. Juncker voulait d’abord agir sur l’économie et a rapidement lancé – trois semaines après son entrée en fonctions – un vaste plan pour l’investissement, avec la volonté de faire de la croissance et de l’emploi les priorités absolues de son mandat. Sur ce front, son bilan est mitigé. Conscient que le chômage de masse est l’un des principaux ferments du populisme, il a réussi l’opération de communication autour de son plan à 315 milliards d’euros. Aujourd’hui, le dispositif est cependant à peine sur les rails, après avoir été validé par les 28 Etats membres et le Parlement européen.
La Commission a, par ailleurs, plutôt bien géré la question piège du budget français. A l’automne 2014, Paris n’avait une nouvelle fois pas respecté les objectifs du pacte de stabilité et de croissance, alors même que le pays s’était vu accorder une rallonge de deux ans et risquait une sanction. Humiliante et déstabilisante pour le moteur franco-allemand, déjà passablement déséquilibré par le différentiel de croissance entre les deux pays. M. Juncker a pris une décision clairement politique, en écartant l’option de la sanction, et en accordant deux ans de plus à la France, mais avec un objectif de déficit public sous les 3 % dès 2017, ainsi que la mise en place d’une surveillance très rapprochée du pays.
Le fait que la croissance en zone euro soit repartie (1,2 % au deuxième trimestre 2015) a aidé la Commission à tenir cette ligne « souple » à l’égard de Paris, mais le chômage en zone euro reste élevé (10,9 % en moyenne en juillet 2015), et les nuages s’amoncellent, avec le risque de contrecoup d’une économie chinoise qui ralentit.
Le premier point noir de l’an I de la « Team Juncker » fut évidemment la crise grecque. M. Juncker a réussi à maintenir le dialogue entre le gouvernement de la gauche radicale et une bonne partie de ses partenaires de l’Eurozone, tentés de lâcher définitivement un pays jugé incapable de se réformer. M. Juncker s’est personnellement beaucoup impliqué pour éviter un « Grexit », synonyme pour lui de la désintégration de la zone euro.
Pourtant, si finalement l’eurozone a accepté d’aider la Grèce et si le premier ministre Alexis Tsipras a fini par céder aux exigences de ses créanciers et a signé pour un nouveau plan d’austérité, personne n’ose affirmer à Bruxelles qu’on en a définitivement fini avec le « problème grec ». Et la réflexion sur une réforme de la zone euro menace déjà s’enliser.

Risque d’un « Brexit »

Depuis quelques mois, l’Europe a plongé dans une nouvelle crise, un peu plus violente encore. Le drame des réfugiés et demandeurs d’asile est d’une ampleur « historique », souligne le vice-président de la Commission Frans Timmermans. Or, face à l’afflux de dizaines de milliers de personnes, essentiellement issues de zones de guerre, la Commission peine à imposer son point de vue. La querelle sur la « relocalisation » et la « réinstallation » de 60 000 personnes était à peine close que M. Juncker devait, face à l’urgence, suggérer l’obligation, pour chaque Etat membre, d’intégrer 120 000 personnes au total. Un pari qui est loin d’être gagné compte tenu des réactions très hostiles à l’Est.
Ces polémiques en auraient presque fait oublier que rien n’est vraiment résolu en Ukraine, où un fragile cessez-le-feu – les accords de Minsk – a été conclu sous l’égide de la France et de l’Allemagne, laissant la Commission et la haute représentante pour la diplomatie à leurs questions quant à l’avenir des relations avec Moscou.
A ce sombre tableau s’ajoute le risque d’un « Brexit », alors que le référendum pour ou contre l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union pourrait se tenir dès 2016. Conscient de cette échéance, M. Juncker a pris contact avec David Cameron dès la réélection du premier ministre conservateur, au printemps dernier. Il voulait engager au plus vite un dialogue constructif afin de trouver un accord acceptable par tous sur la redéfinition des relations entre Londres et ses partenaires.
Occupée par la crise des réfugiés, la Commission arrivera-t-elle à mener de front cette négociation à haut risque, alors que l’Union offre aux Britanniques sceptiques le spectacle de sa désunion ? Selon un sondage publié le 6 septembre, 51 % des Britanniques interrogés se déclarent aujourd’hui favorables à un « Brexit ».
Vieux renard de la politique européenne, M. Juncker a su prendre, depuis un an, des décisions courageuses, quitte à se mettre parfois à dos certains Etats. Pourra-t-il sauver l’Union et ses institutions ? C’est le pari de l’année politique à haut risque qu’il ouvre à Strasbourg.