jeudi 19 mars 2020

Trump peut-il perdre ? Avis intéressant d'un auteur de l'IRIS.

Pourquoi Joe Biden deviendra (sans doute) le 46e président américain

Tribune
16 mars 2020


Joe Biden sera le candidat démocrate opposé à Donald Trump en novembre prochain. L’ancien vice-président de Barack Obama a déjoué les pronostics et une attention journalistique portée trop précipitamment sur Pete Buttigieg d’abord, Mike Bloomberg et Bernie Sanders ensuite, et qui enterra trop vite ses chances de succès. C’était surévaluer l’importance des États se prononçant tôt dans les primaires, mais offrant peu de délégués, comme l’Iowa ou le New Hampshire. C’était surtout oublier trop vite l’expérience de ce politicien chevronné et la mobilisation des électeurs démocrates, en très forte hausse, déterminés à chasser Donald Trump de la Maison-Blanche. C’est cette mobilisation, autant que ses soutiens dans le camp démocrate et un contexte qui lui est favorable qui permettront à Joe Biden de remporter l’élection présidentielle en novembre. Certes, la campagne sera encore longue, semée d’embûches, et elle sera sans aucun doute très agressive, à en juger par les tweets rageurs de Donald Trump commentant le processus de désignation de son futur adversaire. Certes, le choix des colistiers et les joutes électorales auront une importance non négligeable, comme toujours. Certes encore, les contextes sont faits pour évoluer, et la vérité d’un jour n’est pas nécessairement celle du lendemain. Cependant, toutes les conditions sont remplies pour que Donald Trump se limite à un mandat présidentiel, un de trop dans l’esprit de ceux qui apporteront leur soutien à Joe Biden qui deviendra sauf accident le 46e président des États-Unis.

Des primaires démocrates comme révélateur

Considérées comme très incertaines au départ, compte-tenu d’un nombre élevé de candidats aux profils très différents, annoncées comme acharnées du fait des écarts très nets entre les programmes, les primaires démocrates ne furent finalement pas aussi longues et difficiles que celles de 2008 ou 2016, et consacrèrent très rapidement leur vainqueur. De son côté, Bernie Sanders n’est pas parvenu à rassembler derrière sa candidature le soutien populaire qui lui avait permis de contester jusqu’à la convention démocrate la victoire d’Hillary Clinton en 2016, qui ne dût son succès qu’au soutien des superdélégués, les cadres du parti en d’autres termes. Les scores de Sanders sont cette fois souvent très nettement inférieurs à sa performance quatre ans plus tôt. La faute à un discours peu renouvelé et à un électorat moins mobilisé, là où Biden a pu capitaliser sur une forte participation en sa faveur, comme les scores spectaculaires dans les États du sud du pays l’ont démontré.

Depuis le Super Tuesday, Joe Biden a surtout vu la quasi-intégralité des candidats malheureux à l’investiture démocrate lui apporter leur soutien contre Bernie Sanders, son ultime rempart. Déjà à l’occasion des débats télévisés, il avait pu mesurer la compatibilité de son profil avec des rivaux comme Pete Buttigieg ou Amy Klobuchar, pour ne mentionner que les plus performants dans la course à l’investiture. De son côté, Mike Bloomberg a tenté de renverser la table et de provoquer un tsunami à l’occasion du Super Tuesday à coups de matraquage dans les médias. Mais son échec cuisant l’a ramené à la raison autant qu’à ce qui motiva son entrée en campagne : faire tomber Donald Trump. Dès lors, le milliardaire avait toutes les raisons d’apporter sans tarder son soutien à l’ancien vice-président des États-Unis, et son soutien financier sera précieux dans les prochains mois. Dans les prochaines semaines, Joe Biden engrangera de nombreux autres soutiens, jusqu’à ce que les trois anciens présidents démocrates (Jimmy Carter, Bill Clinton et Barack Obama) se rangent à ses côtés. L’entrée en campagne de Barack Obama aura à ce titre un impact considérable de par la capacité du 44e président américain à mobiliser les foules, et de par sa popularité qui est restée immense. Et personne n’incarne mieux la continuité d’Obama que Joe Biden, la complicité entre les deux hommes étant notoire, au point que voter pour Biden, c’est un peu voter pour le retour d’Obama. De quoi séduire de très nombreux électeurs démocrates, mais aussi de très nombreux centristes qui se détournèrent de Sanders comme ils se détourneront de Trump. Les primaires démocrates ont confirmé la tentation d’un vote anti-Trump plus que l’adhésion à un programme politique clair et la forte mobilisation derrière celui qui incarne la meilleure chance de succès face au président sortant. Ce n’est ainsi pas le programme de Joe Biden – qui fait défait – ou les gaffes dont il est coutumier qui comptent. Joe Biden rassemble les Démocrates parce qu’il incarne la meilleure chance de battre Donald Trump, et c’est le seul argument qui compte pour un parti de l’âne dont les divisions survivront à cette élection, mais qui seront mises momentanément de côté.

En conséquence, et contrairement à 2016, les Démocrates avanceront en rangs serrés en novembre prochain, dans une union sacrée destinée à reprendre le contrôle de l’Exécutif. Ce qu’Hillary Clinton ne fut jamais en mesure d’achever, le rassemblement de son propre camp, Joe Biden y est parvenu en seulement quelques semaines d’une primaire annoncée très serrée et incertaine, mais qui s’est rapidement transformée en une marche triomphale. Et les planètes s’alignent quant à la possibilité que ce mouvement se poursuive jusqu’en novembre.

Le mandat (trop) clivant de Donald Trump

En 2016, la victoire de Donald Trump, assez prévisible, fut le résultat de la campagne mal menée et de l’incapacité à mobiliser son propre camp de son adversaire Hillary Clinton, moins de la capacité de l’homme d’affaires à proposer un New Deal. Derrière le slogan Make America Great Again se cachait un rejet de l’establishment, y compris républicain, et l’expression d’une colère sans doute légitime pour un grand nombre, mais ne proposant pas de réponse appropriée. Et face à lui, Hillary Clinton ne parvint jamais à rassembler les Démocrates, comme ses défaites historiques (les premières d’un candidat du parti de l’âne depuis des décennies) dans des États comme le Michigan et le Wisconsin le confirmèrent. Pour autant, l’actuel locataire de la Maison-Blanche fut élu avec un nombre d’électeurs moins important que son adversaire à échelle nationale, en vertu d’un système électoral propre aux États-Unis, et il ne parvint jamais à élargir le nombre de ses partisans, suscitant même du rejet plus que du soutien chez ceux qui n’avaient pas voté pour lui en novembre 2016. C’est une situation très rare aux États-Unis, pays qui se range traditionnellement derrière son président une fois celui-ci élu, même quand cette élection fut difficile – on se souvient ainsi de l’exemple de George W. Bush, mal élu en 2000, mais facilement reconduit dans ses fonctions en 2004. La cote de popularité de Donald Trump ressemble ainsi de façon constante à s’y méprendre à son électorat en 2016, et il n’est pas surprenant dans ce contexte que les sondages donnent à son adversaire davantage de votes en novembre prochain.

Pendant tout son mandat, Donald Trump fut surtout l’homme des diagnostics parfois justes, mais aussi des mauvais remèdes. Et cela s’est traduit par un acharnement répété contre ses adversaires politiques, créant un climat délétère et clivant. Le président sortant fut même confronté à une humiliante procédure d’Impeachment, certes vouée à l’échec compte-tenu des rapports de force au Sénat, mais qui illustre les divisions aujourd’hui irréconciliables entre Républicains et Démocrates. Notons à ce titre que cette procédure fut le résultat d’une manœuvre du chef de l’Exécutif visant à déstabiliser celui qu’il identifia très tôt comme son adversaire le plus dangereux : Joe Biden.

Les fortes oppositions à Donald Trump, qui sont majoritaires (le président américain voit systématiquement sa courbe d’opinions favorables inférieure à celle des opinions défavorables), ne lui permettront pas de réunir suffisamment d’électeurs. Face à lui, Joe Biden fera le plein des voix démocrates et bénéficiera d’une marge de manœuvre sans doute plus importante que celle d’Hillary Clinton en 2016. Cette avance se traduira aussi par des victoires dans des États clefs qui lui apporteront le nombre de délégués nécessaire, là où Clinton échoua de peu il y a quatre ans. Même un État comme le Texas, bastion traditionnel républicain et gros pourvoyeur de délégués, pourrait basculer en faveur de Joe Biden si ce dernier a l’intelligence d’y mener une campagne active. Le président sortant a devant lui un véritable mur à franchir s’il souhaite renverser la tendance, et ni les enjeux de campagne, ni le contexte, ne l’y aideront.

It’s (not only) the economy, stupid !

En novembre 1992, un jeune gouverneur d’Arkansas, Bill Clinton, triomphait face au président sortant, champion politique toutes catégories et auréolé d’un bilan exceptionnel en matière de politique étrangère : George Bush. Mais les électeurs américains se souciaient plus de leur portefeuille et de la santé de l’économie de leur pays que de la diplomatie, et Clinton l’avait compris. Aussi adopta-t-il un slogan de campagne adapté à ce contexte : It’s the economy, stupid ! Cette première élection présidentielle post-Guerre froide imprima les suivantes : l’économie s’invitait au cœur de la campagne. De même, on relève qu’un président sortant bénéficiant d’un bon bilan économique assura systématiquement sa réélection, ne laissant que peu de place à ses adversaires et des espoirs quasi nuls.

C’est fort de ce qui est devenu une « tradition » dans un pays où ces dernières ont une importance toute particulière que Donald Trump s’est lancé dans sa campagne de réélection, vantant les mérites de sa politique économique, la bonne santé de la bourse (jusqu’à la crise de coronavirus), les créations d’emploi et la réindustrialisation des États-Unis qu’il a engagée depuis son arrivée au pouvoir. Le slogan Keep America Great symbolise cette volonté d’axer sa campagne sur un bilan économique dont il ne cesse d’autoproclamer les succès. Pourtant, et contrairement aux scrutins précédents, l’économie ne devrait pas figurer au centre des préoccupations des Américains qui voteront en novembre prochain. À ce titre, il faut remonter à 2008 et la victoire de Barack Obama pour voir une situation comparable. La crise des Subprimes débutait alors, et si l’inquiétude gagnait peu à peu les ménages américains, ce n’est pas le bilan économique de l’administration Bush qui fut en jeu. En 2008, les électeurs eurent à décider s’ils acceptaient d’ouvrir les portes de la Maison-Blanche à un Africain-Américain, pour la première fois. De même, ils devront avant toute autre considération choisir s’ils acceptent de garder Donald Trump à son poste en novembre prochain, transformant cette élection en une sorte de référendum. Et a ce petit jeu, le président sortant se présente avec un handicap sérieux et un déficit d’image relevé précédemment.

De deux choses l’une. Soit l’économie ne jouera qu’un rôle secondaire dans la campagne présidentielle, et Trump ne pourra pas capitaliser sur ses résultats comme il le souhaitait. Soit la crise amorcée par l’épidémie de coronavirus se traduit par une baisse sensible de la croissance et un impact sur la population américaine, et le président américain en paiera le prix. Dans les deux cas, Donald Trump devra trouver un autre argument de campagne s’il souhaite rester quatre ans de plus à la Maison-Blanche.

Un contexte particulier

La gestion catastrophique de la crise du coronavirus par la Maison-Blanche et notamment l’interdiction faite à des Européens d’entrer aux États-Unis, au prétexte que l’Europe est la « nouvelle Chine », s’inscrivent dans la continuité de mesures prises sans concertation avec les alliés de Washington. Elles déstabilisent surtout ce que Trump identifie depuis des mois comme son arme secrète, l’économie (constat qui est comme nous l’avons vu très discutable), et les chiffres que le président sortant présentera en novembre aux électeurs seront très en deçà de ses espoirs. Parallèlement, le peu de crédit que le président américain accorda dans un premier temps à l’épidémie contraste avec ces mesures spectaculaires et renvoie l’image d’une administration qui avance sans boussole. En ce sens, l’attitude du président américain sur cette question est symptomatique de sa gestion des affaires de son pays depuis son arrivée au pouvoir, mais elle est cette fois révélée à tous et parce qu’elle concerne un enjeu de santé publique, elle impacte tous les Américains. Difficile de faire pire à quelques mois d’une élection pour laquelle les chances de succès sont déjà minces.

En matière de politique étrangère, le bilan des quatre années de présidence Trump est très négatif, et est reflété par l’image fortement détériorée des États-Unis sur la scène internationale. Or, l’image est la clef de la puissance au XXIe siècle, et c’est donc la puissance américaine et sa capacité d’influence qui souffrent de ce déficit. Là aussi, le contexte ne joue pas en faveur du président sortant. Ne citons que quelques exemples des errances de Washington : un accord de paix avec les Talibans en Afghanistan qui se traduit par une défaite américaine dans ce qui est la plus longue guerre de ce pays s’accompagne immédiatement d’affrontements ; un plan de paix pour le Proche-Orient annoncé sans aucune concertation avec les différents acteurs concernés, et que même les alliés proches de Washington ont dénoncé ; une guerre commerciale avec Pékin qui devait faire des miracles, mais se traduit par des frictions avec quasiment tous les partenaires commerciaux des États-Unis ; des soutiens à des personnages souvent critiqués dans les démocraties occidentales (États-Unis compris), comme Erdogan, Bolsonaro, Ben Salman ou Modi ; une poignée de main historique avec Kim Jong-un mais qui ne dépasse pas le symbole ; une politique iranienne aussi délétère que frileuse, comme en témoigne ce qui restera comme une crise étrange avec Téhéran en janvier dernier… Certes le monde ne votera pas en novembre prochain, et les questions de politique étrangère ont peu d’impact sur les élections américaines. Mais Joe Biden a à sa disposition une liste impressionnante de dossiers sur lesquels il pourra capitaliser pour mettre en relief le bilan de son adversaire. Et avec les conseils de Barack Obama qui endossera un rôle important dans cette campagne, car c’est un peu son troisième mandat qui se jouera, il aura des arguments solides.

La science politique et sa section « relations internationales » est une discipline qui s’appuie sur une expertise associant de nombreux éléments, et ne cède pas à l’actualité. Elle prend du recul et analyse dans la durée avec une rigueur scientifique qui l’honore. Cette pratique ne doit cependant pas empêcher une « prise de risque » quant à l’annonce de résultats probables, compte-tenu de différents facteurs et d’un contexte particulier. C’est précisément ces facteurs et ce contexte qui sont développés ici, les plus importants étant la forte mobilisation des Démocrates et le rejet que suscite Donald Trump. La frilosité incite à rester silencieux ou à prédire une victoire de Trump, puisque statistiquement les présidents sortants ont plus de chances de se faire réélire. Mais Trump est un cas particulier, et si de nouveaux développements totalement imprévus et à ce jour invisibles ne font pas surface et modifient en profondeur les rapports de force (mais il faudra que ce soit dans des proportions très importantes), Joe Biden sera le prochain président des États-Unis, accessoirement le plus âgé de l’histoire de ce pays devant… Donald Trump.

mercredi 4 mars 2020

Santé et croissance économique : l'exemple du Coronavirus (source : site allemand Statista)

Coronavirus : coup de froid sur l'économie mondiale

Bien qu'il soit encore trop tôt pour mesurer la totalité des retombées économiques de l'épidémie de coronavirus, l'OCDE a déjà réduit ses prévisions de croissance mondiale en raison de la propagation du virus hors de Chine. Dans un rapport publié cette semaine, l'organisation table désormais sur une croissance économique mondiale de 2,4 % cette année, contre 2,9 % prévus en novembre 2019. Si cette prévision se réalise, il s'agirait du plus faible taux de croissance économique depuis la fin de la crise financière en 2009. Sans surprise, la Chine devrait être l'économie la plus impactée cette année et l'OCDE a revu ses prévisions de croissance pour le pays de 5,7 à 4,9 %. Le reste du monde n'est toutefois pas à l'abri de l'impact du virus, car les voyages d'affaires et le tourisme sont affectés et de nombreuses entreprises sont confrontées à des perturbations de leur chaîne d'approvisionnement en raison de leur dépendance à l'égard de la Chine. L'organisation a notamment réduit ses prévisions de croissance du PIB à 0,9 % pour la France, soit trois points de moins que ses prévisions en novembre dernier.