“Le roi saoudien Salman ben Abdelaziz Al-Saoud a expliqué dimanche 7 février que son pays ne s’ingérait pas dans les affaires intérieures d’autres pays et ne faisait que se défendre contre les ingérences des autres. Or, non seulement l’Arabie Saoudite mène déjà une guerre au Yémen, mais le pays s’apprêterait désormais à envoyer des soldats en Syrie”, s’étonne le quotidien panarabe Raï Al-Youm.


Le 4 février, Riyad a en effet officiellement déclaré qu’il envisageait l’envoi de troupes au sol en Syrie dans le cadre de la coalition – actuellement – aérienne contre Daech, sans indiquer le nombre de soldats qu’il pourrait mobiliser. Dans le même temps, des manœuvres géantes se préparent en Arabie Saoudite même, qui pourraient concerner 150 000 hommes venus de différents pays de “l’alliance sunnite” tels que le Soudan, la Jordanie, l’Egypte et d’autres pétromonarchies du Golfe.
 

Combattre Daech, mais surtout Assad

Ces manœuvres, tout comme l’annonce d’un éventuel envoi de troupes en Syrie, s’inscrivent dans la nouvelle politique étrangère très offensive de Riyad. “Si intervention militaire saoudienne il y a, elle se fera probablement à partir du territoire turc”, poursuit le journal.
Officiellement, l’objectif consiste à combattre Daech, mais le véritable but est ailleurs. Il s’agit de renverser l’équilibre des forces qui est en train de tourner en faveur du régime de Bachar El-Assad, grâce à l’appui de l’aviation russe.”
Les Saoudiens ont en effet deux “obsessions”, avance Raï Al-Youm. La première : “avoir la peau” de Bachar El-Assad, ce qui les a conduit à déployer depuis cinq ans des moyens considérables pour obtenir sa chute, mais ils craignent aujourd’hui de subir une défaite politique sur le terrain syrien.
La deuxième : former une alliance politique et militaire sunnite face à “l’axe iranien [chiite]” dont la Syrie est une pièce maîtresse.

“Ils sont prêts à mobiliser toutes leurs capacités militaires et financières pour parvenir à leurs fins, quels que soient les dommages matériels et humains”, juge le journal, selon qui “les dirigeants saoudiens se laissent emporter par une pulsion de vengeance sans précédent.” “C’est une attitude risquée”, pointe Al-Raï Al-Youm :
Au Yémen, pays pauvre et dépourvu de moyens militaires, leur opération ‘Tempête décisive’ n’a pas produit de résultats décisifs en onze mois de combats. Qu’en sera-t-il quand il s’agira de faire face à l’armée syrienne, soutenue non seulement par les Iraniens et le Hezbollah, mais aussi et surtout par l’aviation russe ? L’armée saoudienne a-t-elle les moyens de vraiment peser en Syrie ? Si tel était le cas, alors l’Arabie Saoudite serait une troisième superpuissance mondiale qu’on ignorait”.

Les Saoudiens sont déterminés

Du côté de la presse saoudienne, en revanche, le doute n’est pas permis : “L’Arabie Saoudite, de même que la Turquie, ne permettra pas une victoire russo-iranienne en Syrie”, écrit ainsi Jamal Khashoggi, un des plus célèbres éditorialistes saoudiens, dans Al-Hayat. “Dans le cadre de l’alliance sunnite que la politique confessionnaliste de l’Iran nous impose, Riyad et Ankara vont se rapprocher davantage. Il est temps que les Américains comprennent que les Saoudiens et les Turcs sont sérieux : ce n’est pas du bluff. Comment faut-il le dire pour se faire comprendre ?”

Khashoggi souligne la détermination saoudienne, est laisse entendre que les Saoudiens finiront par entraîner les Américains :
Tout comme Riyad n’a pas attendu le feu vert de Washington pour intervenir au Yémen, une action sera menée en Syrie. […] Nous devons faire pression sur les Américains pour qu’ils s’engagent à leur tour, au nom de la paix mondiale”.
L’éditorialiste compare la situation à celle de l’Europe en 1939 : “Quand la France et la Grande-Bretagne ont finalement déclaré la guerre à Hitler, elles l’ont gagnée avec l’appui des Etats-Unis. Et ceux-ci y avaient été entraînés malgré eux.”
Philippe Mischkowsky