mardi 29 novembre 2016

Etats-Unis : 2 modèles opposés dans la question de la prison

Leader mondial de détenus, les Etats-Unis sont considérés par Michel Floquet comme la "plus grande prison du monde" (voir iTR 127 sur le blog). L'Irlande, comme d'autres pays , propose une alternative à un système qui devient un échec (comme en France). Voici un article du site Mediapart (payant) que je découvre dans le cadre d'une promotion et qui concerne un domaine qui m'intéresse comme citoyen et en tant qu'enseignant ayant travaillé 9 ans en prison de 1993 à 2002.

Irlande: quand le plaidoyer pour la décroissance carcérale paie

Alors que les prisons du pays étaient marquées par la surpopulation en 2010, l’Irlande est parvenue à réduire de près de vingt points son taux de détention en six ans, et comptait moins de 80 détenus pour 100 000 habitants au 1er août 2016 *. Le résultat d’un travail de plaidoyer intensif.



  • Entretien avec Deirdre Malone, directrice de l’Irish penal reform trust, ONG oeuvrant pour la protection des droits de l’homme en prison et la promotion de réformes progressistes, recueilli par Laure Anelli
    Une prison abandonée © Laurent Dubus Une prison abandonée © Laurent Dubus
    Les prisons irlandaises étaient particulièrement surpeuplées en 2010. Était-ce perçu comme un problème par le Gouvernement et l’opinion publique et comment envisageait-on de le résoudre ?

    Deirdre Malone : Le Gouvernement comme les médias pensaient que la résolution de ce problème ne pouvait passer que par la construction de davantage de prisons. Nous avons donc travaillé à démontrer en quoi c’était réellement une mauvaise idée, en expliquant qu’accroître la taille et le nombre de prisons ne ferait pas diminuer le nombre de crimes et délits, et aurait pour seule conséquence d’augmenter encore le nombre de prisonniers. Nous avons réalisé un gros travail de communication, lancé des pétitions, organisé des forums avec des experts internationaux et publié des tribunes dans les médias. Nous ne nous contentions pas de critiquer, mais fournissions des solutions alternatives. Nous nous sommes appuyés sur les résultats de la recherche pour détailler un certain nombre de propositions très concrètes, reposant sur des données scientifiquement établies, chiffrées.
    Quand ce travail a-t-il commencé à payer ?

    Le plus grand changement est survenu en 2013. Un groupe parlementaire composé de représentants de tous les partis politiques avait été constitué pour étudier le problème. Et nous avons obtenu l’approbation d’un certain nombre de nos recommandations, dont la plus importante : celle qui préconisait l’adoption d’une politique de désincarcération, c’est-à-dire visant à réduire le nombre de personnes détenues. Ce fut une
    très grande victoire, car jusque-là, c’est à l’augmentation du taux de détention que se mesurait la réussite d’une politique  pénale. Nous sommes parvenus à faire comprendre que mettre davantage de personnes en prison est plus un échec qu’un succès.

    Quels types d’arguments aviez-vous mobilisés ?

    Nous avons apporté la preuve que la prison produit ses propres maux ; qu’elle est destructrice, qu’elle brise les liens familiaux, la situation sociale et professionnelle des personnes, mais aussi leur santé. Nous avons milité pour d’autres façons de punir, mais aussi pour un plus fort investissement dans l’intervention précoce et dans la prévention de la délinquance, ces solutions étant bien plus profitables à la société. Le gros du travail a été de faire comprendre que la question n’est pas d’être « strict » ou « laxiste » en matière de délinquance, mais d’être efficace. L’argument économique est également entré en ligne de compte : dans un contexte de crise économique et d’austérité, le coût de la prison devenait de plus en plus difficile à défendre. C’est un argument auquel l’opinion publique comme les décideurs ont été sensibles.

    Quels leviers ont effectivement permis de réduire la population carcérale ?

    Le Gouvernement a introduit une réforme visant à encourager les juges à prononcer un travail d’intérêt général en alternative aux peines de prison de moins de un an. Désormais, le système des réductions de peine permet aussi aux détenus de sortir aux trois-quarts de leur peine.
    Par ailleurs, s’ils participent à un programme structuré d’activités, et que les services du ministère considèrent qu’en conséquence ils présentent un moindre risque de récidive, les détenus peuvent être libérés à partir des deux-tiers de leur peine.
    Au final, la combinaison de ces mesures a permis de passer de 4500 à 3700 détenus. C’est énorme pour un petit pays comme le nôtre, et cela semble s’être stabilisé depuis bientôt deux ans.

    Estimez-vous le problème réglé aujourd’hui ?

    Non, dans la mesure où certaines prisons continuent d’être surpeuplées. Nous plaidons en outre pour une refonte du système de libération conditionnelle. Les services qui en décident sont chapeautés par le ministère de la Justice : nous militons pour qu’ils deviennent réellement indépendants. De manière générale, nous restons particulièrement vigilants car le nouveau gouvernement est davantage conservateur que ceux de ces vingt dernières années. Nous maintenons la pression pour que les réformes se poursuivent.
    Cet article est issu du n°93 de la revue trimestrielle Dedans-Dehors, éditée par l'Observatoire international des prisons. Pour consulter l'intégralité du dossier et vous abonner à la revue papier, c'est ici.