samedi 16 novembre 2013

Xi Jinping relance les réformes de la Chine

Chine : avec la fin de la rééducation par le travail, "Xi Jinping démontre son autorité"
Pékin a publié, quelques jours après la fin d'une réunion politique importante, le programme de la nouvelle équipe dirigeante pour les années à venir. Le régime a notamment annoncé la fin du système décrié de la rééducation par le travail mis en place par Mao à la fin des années 1950 et l'assouplissement de la politique de contrôle des naissances. Pour Nicholas Bequelin, chercheur à Human Rights Watch à Hongkong et spécialiste du système judiciaire chinois, Xi Jinping consolide son pouvoir tout en menant des réformes qui doivent permettre au Parti communiste de s'adapter aux temps nouveaux et à la pression croissante des revendications de la population.
Pourquoi Xi Jinping a-t-il décidé d'abolir le système de la rééducation par le travail (laojiao) ?
Nicholas Bequelin : cela avait été annoncé dès janvier à la première réunion du comité politique et légal. Meng Jianzhu, le responsable de la sécurité, l'avait alors dit. Ensuite, nous avons appris de la part de personnes qui sortaient du "laojiao" que les autorités avaient arrêté de faire entrer de nouveau détenus. Nous étions assez confiants sur le fait que le système allait disparaître. L'annonce intervient au moment de la publication du document programmatique à la suite du troisième plénum.
Tout était prêt pour l'abolition. Personne ne le défendait à part l'appareil de sécurité. La communauté juridique, les juges, les procureurs, les avocats et l'opinion publique, tout le monde était pour sa suppression. Il n'y avait qu'à appuyer sur le bouton. Mais jusqu'à présent, la Sécurité publique (police), dont c'était le joujou favori, bloquait cette réforme. Ce n'est donc qu'après que Xi Jinping eut réussi à sortir le chef de l'appareil de sécurité du bureau politique que cette réforme est devenue faisable.
Cela sert plusieurs buts. Cela remet à sa place l'appareil de sécurité, cela enlève un système qui était un obstacle aux réformes du système pénal. Cela n'a en effet aucun sens de consolider un système s'il en existe un parallèle et complètement arbitraire, sans aucune procédure. Dans le même temps, il démontre son autorité, c'est un geste symbolique, cela prouve sa capacité de faire des réformes et de s'attaquer à des groupes d'intérêts qui les bloquaient.
Ces annonces interviennent après une vague de répression dénoncée par les associations des droits de l'homme. Dans l'annonce, il est question de la protection de ces derniers. Xi Jinping a-t-il la volonté d'améliorer la situation dans ce domaine ?
Les réformes annoncées ne sont pas des réformes politiques, elles visent à consolider l'autorité du parti en s'attaquant aux défauts du système judiciaire les plus visibles et les plus gênants, la rééducation par le travail, les confessions forcées, les procès iniques, etc. Le parti identifie l'érosion de la confiance dans les institutions légales comme un problème social majeur. Il doit s'attaquer au problème de la justice pénale et du système juridique en général, car il est aussi question des pétitionnaires et de la Constitution. Il ne faut pas cependant croirequ'il s'agit de premiers pas vers une réforme politique. Il n'y a aucune indication sur le fait qu'il y aura une plus grande tolérance envers les dissidents et les critiques. Au contraire, il semble que Xi Jinping soit plus intransigeant, en particulier parce qu'il essaie de pousser ces réformes. Il est encore moins disposé à tolérer des trouble-fêtes.
En abolissant la rééducation par le travail et en assouplissant la politique de l'enfant unique, Xi Jinping cherche-t-il à s'adresser aux demandes des classes moyennes urbaines ?
Sur toutes ces questions, il y avait un très fort consensus au sein des institutions. Quand Xi Jinping demande conseil à la technocratie chinoise, c'est la réponse qui lui est faite : il faut abolir la rééducation par le travail et assouplir le système de contrôle des naissances. Sur ce dernier point, ce n'est pas une avancée des droits, c'est une permission. Le système reste en place, mais on donne à une catégorie de personnes le droit d'avoir un deuxième enfant. C'est discrétionnaire.
Le système de la rééducation par le travail était totalement obsolète, associé à la campagne contre les droitiers à la fin des années 1950 et aux excès des années Mao. En plus, l'utilisation par Bo Xilai (homme politique rival de Xi Jinping déchu et condamné à la prison à vie) à Chongqing de ce système a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase.
C'est aussi une volonté du Parti communiste de dépasser des problèmes qui ont été identifiés dans la société. Le parti sait qu'il doit s'adapter s'il veut survivre, confronté à une situation de plus grande volatilité et instabilité sociales. C'est s'adapter pour survivre. On n'est pas dans un mode de réformes politiques comme en 1986-1987.
Est-ce que cela montre que Xi Jinping commence à imposer sa marque ?
La transition politique avait été assez sanglante. Il a passé un an à s'attaquer aux faiblesses du système politique qui avaient été identifiées avant cette transition : manque de charisme et de légitimité des dirigeants, groupes d'intérêts, dont les entreprises publiques, s'opposant à des réformes, corruption... Il a conforté progressivement son pouvoir et maintenant il présente son programme pour les dix ans. Les dix dernières années ont été perdues, la pression de la société monte et il faut une alternative aux réformes politiques, soit c'est l'économie ou le droit. Là, c'est plutôt le choix de l'économie. Il montre également que le parti doit s'adapter, sinon il est en péril. C'est un parti léniniste-darwiniste.
Source : Le Monde.fr, le 16 nov 2013