Les frères Koch, milliardaires libertariens et financiers du chantage au
"shutdown"
"Ne laissez pas le gouvernement jouer au docteur !"
Ce message dénonçant la loi Obama sur l'assurance santé, concluait une vidéo
choc qui a fait le buzz sur Internet en septembre. Un Oncle Sam menaçant,
figurant l'intrusion de l'Etat, y surgissait entre les jambes d'une femme en
plein examen gynécologique. Au même moment, un tweet alarmant – "Obamacare
est une catastrophe" – se répandait sur les réseaux sociaux, tandis
que des élus en difficulté dans leur circonscription recevaient des
avertissements liés à leurs positions sur l'assurance santé.
Les officines ("Freedom partners", "Generation opportunity", "Heritage")
à l'origine de ces campagnes ont un point commun : elles sont
généreusement dotées par les frères Charles et David Koch – 77 et 73
ans –, qui ont mis leur richesse – 36 milliards de dollars
(26,4 milliards d'euros) chacun, soit la quatrième fortune américaine
selon le magazine Forbes – au service de leur obsession : déstabiliserle "socialiste" Barack Obama.
Depuis des mois, cette galaxie de fondations, cercles de réflexion et autres
entités "sans but lucratif", dévouée à leurs idéesd'extrême
droite, a conçu, organisé et scénarisé la crise budgétaire qui secoue
l'Amérique.
Il s'agissait de porter un coup fatal à la loi "Obamacare"
honnie, en amenant les élus républicains à profiter d'une concomitance exceptionnelle entre le début
de l'année budgétaire, l'entrée en vigueur de la loi sur l'assurance-santé, le
1eroctobre, et la date butoir pour relever le plafond de la dette, le 17 octobre. Le
chantage était simple : pas de vote du budget, pas de déplafonnement de la
dette sans report aux calendes grecques de l'"Obamacare".
>> Lire (en zone abonnés) : L'Obamacare, une
"usine à gaz" bureaucratique qui ne convainc pas les non-assurés
Avant même que, mercredi 16 octobre, cette stratégie ne s'effondre avec
l'adoption par le Congrès d'un compromis budgétaire, les frères Koch avaient
sauté du train fou en marche qu'ils avaient eux-mêmes précipité dans le mur. Dans
une lettre ouverte adressée au Sénat jeudi 10 octobre, ils ont pris leurs
distances avec le chantage au "shutdown", la fermeture du
gouvernement fédéral. Une démarche très inhabituelle pour des industriels dont
la discrétion légendaire a toujours été proportionnelle à leur considérable
influence.
Ce repli tactique traduit l'inquiétude d'hommes d'affaires devant une
catastrophe financière annoncée. Ces industriels-idéologues du long terme se
sont retirés sans doute pour mieux repartir à l'assaut. Après tout, les graines qu'ils ont
semées dans les années 1980 n'ont germé que trois décennies plus tard sous le
nom de Tea Party.
Services sociaux et impôts minimums,
refus de toute intervention de l'Etat dans l'économie. A partir de ces "fondamentaux", David et Charles
Koch ont, dès 1980, échafaudé un hallucinant programme
"libertarien" : suppression du FBI, de la CIA, de l'impôt sur le revenu et
des pensions publiques de retraite ; légalisation de la prostitution et de
la drogue.
LA "PIEUVRE" KOCH
Ces idées, ils les ont reçues en héritage de leur père Fred, un fils
d'émigré hollandais un temps exilé en URSS et devenu un anticommuniste enragé.
Dans les années 1950, le père Koch voyait dans l'aide sociale un
complot destiné àattirer les Noirs en ville afin qu'ils fomentent une
guerre des races. En 2008, les fils Koch ont vu dans l'élection de Barack Obama "la
plus grande perte de liberté et de prospérité depuis les années 1930".
Mais le legs n'a pas été qu'idéologique : Fred Koch a laissé à ses fils,
ingénieurs formés au MIT de Boston, l'entreprise pétrolière qu'il avait fondée
à Wichita (Kansas). Koch Industries a connu depuis trois décennies une
expansion phénoménale, comme l'a raconté le magazine The New Yorker dans un long récit de référence.
Charles et David Koch possèdent 6 000 km d'oléoducs et une
capacité de raffinage équivalant à 5% de la consommation américaine
quotidienne. Le conglomérat industriel qu'ils détiennent à 84% à titre personnel et qui emploie 60 000 salariés,
englobe également une pléiade d'activités allant des essuie-tout à la fibre
Lycra, en passant par le vitrage pour l'automobile.
Les frères Koch ont gratifié de leurs millions de dollars de prestigieuses
institutions culturelles (théâtres, musées) ainsi que des centres de lutte
contre lecancer, alors que des
matières cancérigènes sortent de leurs usines. Ils financent une myriade de lieux d'influence militant pour le "moins
d'Etat" et spécialisés, intérêt industriel oblige, dans la lutte contre
toute réglementation environnementale et la négation du réchauffement
climatique.
La fondation Americans for Prosperity, centre névralgique de cette
"Kochtopus" ("pieuvre Koch"), a été l'artisan de la
victoire des extrémistes du Tea Party aux élections parlementaires de
novembre2010, multipliant les manœuvres de déstabilisation d'élus républicains
rétifs, fabriquant de faux mouvements citoyens et inondant les médias de spots
agressifs, d'études et de sondages orientés.
L'échec à la présidentielle 2012 de Mitt Romney, candidat pour
lequel les frères Koch avaient investi des dizaines de millions de dollars, a
montré la limite de leur influence. Mais leur dernière offensive, qui vient de mener l'Amérique au bord du gouffre, confirme la
poursuite d'une guerre à coups de millions de dollars contre Barack Obama.
Source : La Monde.fr, le 18 oct 2013