Un Etat attractif
L'absence de ressources en produits bruts (hors agriculture), un atout pour le pays
TR Sylvie BRUNEL, géo fr : RWANDA, LE PAYS DU MIRACLE A TOUT PRIX
SOURCES : L'Atlas des Afriques, LeMonde-LaVie, 2020 + L'Année stratégique 2021, sept 2020.
4 avril 2019, 21:55 CEST
Auteurs
Assistant Professor, Josef Korbel School of International Studies,
University of Denver
Assistant Professor, Department of
International Development, London School of Economics and Political Science
Déclaration d’intérêts
Marie
E. Berry n'a reçu aucun financement lié à cet article.
Laura
Mann a reçu un financement du Economic and Social Research Council du Royaume-Voir les partenaires
Le
président rwandais Paul Kagame. Le Rwanda a une économie en plein essor qui est
contrôlée par un régime autoritaire. Christian Marquardt/E
TR 116 : La croissance économique du Rwanda
a donné encore plus de pouvoir à son État autoritaire
Le Rwanda est aujourd’hui
considéré comme un modèle de
développement économique. Vingt-cinq ans seulement après l’horreur du génocide, le pays avance à
pas de géant. Cependant, le gouvernement de Paul Kagame fait l’objet de
nombreuses critiques pour son autoritarisme et la violente répression
de ses opposants.
Le Rwanda
peut s’enorgueillir de nombreuses réussites. Le pays compte le plus grand nombre de femmes politiques au
monde. Au Parlement, plus de la moitié des députés sont des femmes.Les progrès technologiques y
sont également remarquables. Le Rwanda est connu pour ses innovations qui permettent à la
population d’accéder à des services essentiels, comme la transfusion sanguine.
Il est aussi à la pointe en matière d’accès à Internet : plus de 95 %
du pays bénéficie d’une couverture réseau. En outre, il continue d’afficher une croissance
économique impressionnante. Il importe, toutefois, de replacer ces avancées dans
leur contexte.Dans un article publié il y a trois ans, nous
analysions les motivations politiques qui sous-tendent le développement du
Rwanda. Plusieurs points sont toujours d’actualité. Nos recherches mettent
ainsi en évidence le double statut du pays, qui est à la fois un modèle de
développement et un paria accusé d’autoritarisme au sein de la communauté
internationale. Nous montrons ainsi que les marchés constituent des espaces à
travers lesquels l’État rwandais accroît son emprise.En d’autres termes, dans
ce pays la croissance économique et le contrôle de la société vont de pair. Pour
bien saisir la situation, il faut d’abord comprendre les intérêts politiques
qui dictent les priorités en matière de développement au Rwanda, puis prendre
en compte l’histoire du pays, notamment son passé violent.
Capitalisme
et développement
Des motivations politiques sous-tendent toujours le développement
économique. Or l’essor de la pensée entrepreneuriale au sein des cercles
chargés du développement a tendance à occulter cette réalité. Elle conçoit le
développement comme un simple défi technocratique et dépeint les marchés comme
des espaces apolitiques où « l’économie » peut fonctionner.
Les débats à la Banque mondiale, au sein du programme des Nations unies
pour le Développement (PNUD) et dans d’autres organisations internationales
suggèrent ainsi que les États devraient s’affranchir des considérations
purement politiques s’ils veulent se développer efficacement.
Or, cette vision des choses néglige un nombre significatif d’études en sciences sociales qui
démontrent combien, historiquement, la croissance de type capitaliste a pu être
stimulée par un renforcement du pouvoir de l’État. Des sociologues et des
historiens ont ainsi montré comment l’accroissement du pouvoir étatique en
Europe a jeté les bases nécessaires à la coordination du secteur privé et
du développement des économies de marché.
Toujours
selon les chercheurs, les « tigres » du Sud-Est asiatique, à la
croissance accélérée, ont eux aussi bénéficié d’une forme de capitalisme étatique. Là encore, des relations
d’interdépendance se sont tissées entre dirigeants politiques et entrepreneurs.
Dans les deux cas, le développement économique a été à la fois la conséquence –
et un ingrédient – d’une consolidation du pouvoir de l’État.
La question de savoir si ce modèle de développement peut être transposé
dans les pays d’Afrique a été longuement débattue. Certains estiment que les
systèmes politiques locaux ne s’y prêtent pas, du fait de la manière arbitraire
dont les États africains se sont formés, mais aussi du fait des ambitions
entrepreneuriales autochtones contrariées pendant la période coloniale. Cette
situation a généré ce que les chercheurs appellent des relations de prédation entre les entreprises et l’État. Néanmoins certains pays, comme le Rwanda, sont bien parvenus à
créer des partenariats entre l’État et le parti au pouvoir pour canaliser les investissements dans les secteurs prioritaires,
tout en luttant contre des formes plus flagrantes de corruption qui grèvent la
productivité, à des échelons inférieurs de la société.
Un passé
de violences
L’histoire récente du Rwanda a été marquée par de multiples périodes
d’insécurité généralisée qui ont poussé le gouvernement à faire du
développement une priorité.La principale menace pour la sécurité du pays est
liée aux reliquats du sectarisme Hutu, à l’origine du génocide de 1994. Parmi
les autres dangers potentiels pour le régime, on peut citer la contestation de
l’autorité du président Kagame par des mouvements d’opposition comme le Congrès
national rwandais, ainsi que l’instabilité persistante chez son voisin, la
République démocratique du Congo. Le gouvernement a adopté une série de mesures
pour désamorcer ces menaces. Certaines sont explicites, comme le déploiement de
forces de sécurité à travers tout le pays. D’autres sont plus subtiles, comme
les aides sociales (distributions d’argent dans les milieux défavorisés
notamment) utilisées pour apaiser les frustrations des Rwandais les plus
pauvres, qui se considèrent comme les laissés-pour-compte du développement
économique.
Toutefois, les dirigeants ont aussi tendance à exagérer les dangers
potentiels, de manière à légitimer la militarisation des frontières et
justifier des mesures de sécurité toujours plus répressives. La récente
décision du gouvernement de fermer sa frontière nord avec l’Ouganda et de diffuser des consignes strictes à l’intention des voyageurs en est un bon exemple. Cette décision, soi-disant prise pour des
raisons de sécurité, suit le même schéma que d’autres exagérations visant à
justifier la militarisation accrue du pays. Les propos du président Kagame ont suscité
l’inquiétude de certains observateurs qui redoutent même que le gouvernement
rwandais ne prépare des frappes militaires pour déstabiliser l’Ouganda. Mais
quelle est donc la nature du lien entre cette tendance à la militarisation et
le développement du pays ?
Une élite
politico-militaire
Selon nous, le développement des marchés a contribué à accroître le pouvoir
d’une élite politico-militaire aux commandes de l’économie rwandaise. Les
investissements et les politiques industrielles mises en place par le
gouvernement ont engendré une croissance solide et, ce faisant, donné davantage
d’influence aux membres du sérail.
Il est indéniable que l’État a profité de cette croissance et de ce climat
susceptible d’attirer les investisseurs pour renforcer ses infrastructures,
améliorer les services publics et encourager le progrès. Sa capacité à susciter
le respect et la loyauté de la population dépend d’ailleurs du caractère
durable de la croissance. Malgré tout, la transformation de l’économie au
Rwanda, comme dans tous les pays du monde, suit une logique politique de
renforcement des classes sociales.
Reste à voir si ce modèle pourra perdurer dans un contexte de développement
lent et inégalitaire, et une économie mondialisée au sein de laquelle la mise
en œuvre de réelles transformations structurelles tourne de plus en plus à la
compétition. En dépit de l’accent mis sur le développement, beaucoup de
Rwandais vivent encore dans la misère et leur pouvoir d’achat dépend souvent
des interventions fréquentes de l’État.
Traduit
de l’anglais par Iris Le Guinio pour Fast ForWord.
The
Conversation
Pour une agriculture tournée vers le marché
À travers un projet
d’appui au secteur rural et un projet axé sur la bonne
gestion du sol, la récupération des eaux de pluie et l’irrigation des cultures
en terrasses (a), la Banque mondiale a soutenu les efforts déployés par
le Rwanda pour accroître la productivité sur les terrains marécageux et en
colline grâce à des investissements dans l’irrigation. Des investissements dans
les infrastructures rurales ont en outre permis de relier les zones de
production aux marchés.
Entre 2010 et 2018, ces deux projets ont financé la remise en
état ou la valorisation de plus de 7 400 hectares de marais, ainsi
que l’irrigation de plus de 2 500 hectares de cultures en terrasses. Plus
de 38 500 hectares de collines ont fait l’objet d’une mise en
exploitation écoresponsable et de mesures de protection des sols contre
l’érosion. Les rendements du maïs ont augmenté de 1,6 t/ha à presque
5 t/ha, ceux du riz de 3 à 6,3 t/ha et ceux de la pomme de terre de 7
à 20 t/ha environ. Actuellement, plus de 2,5 tonnes de produits
horticoles haut de gamme sont exportés chaque semaine vers l'Europe.
À ce jour, plus de 49 % des 380 000 bénéficiaires
du projet d’appui au secteur rural et des 318 000 bénéficiaires du
projet d’irrigation des culture en terrasses sont des femmes.
Expansion de l’accès à l’électricité
Le Groupe de la Banque mondiale apporte un soutien actif aux
autorités rwandaises dans le secteur énergétique. Il est le principal financeur
des initiatives gouvernementales en faveur de l’électrification, dans le cadre
notamment du projet
de développement du secteur énergétique au Rwanda (a),
d’un montant de 125 millions de dollars, et du projet
de renforcement des capacités électriques, d’un montant de
95 millions de dollars.
Grâce au projet
d’expansion de l’accès à l’électricité (a), le taux d’accès à
l’électricité est passé de 9 % en 2009 à 42 % en mars 2018 :
31 % des foyers rwandais sont désormais raccordés au réseau électrique
national, tandis que 11 % disposent de systèmes hors réseau.
Une série de prêts à l’appui des politiques de développement
dans le secteur énergétique, dotée d’une enveloppe de 375 millions de
dollars, vient soutenir les efforts entrepris par les autorités pour assurer
l’expansion et la viabilité financière des services d’électricité. Enfin, le
projet Kivuwatt, qui porte sur une centrale de production d’électricité au gaz
naturel et bénéficie d’une garantie de la MIGA de 95,4 millions de
dollars, permettra d’augmenter la capacité de production de 25 MW.
Renforcement du système de protection sociale
À travers le projet
de renforcement du système de protection sociale (d’un
montant de 70 millions de dollars), le Groupe de la Banque mondiale a
participé à l’élargissement du programme « Vision 2020 Umurenge »,
principal instrument de filet social du gouvernement rwandais. Le soutien
direct (sous la forme de transferts monétaires) s’est progressivement étendu à
la totalité du pays : 94 520 ménages en bénéficient en 2017
(dont 71 % de foyers dirigés par des femmes), contre 6 850 foyers en
2009. Le programme de travaux publics couvre actuellement 240 des
416 secteurs administratifs du pays et 142 893 ménages (dont
52,8 % foyers dirigés par des femmes), contre 30 secteurs et
18 304 ménages en 2008.
Afin d’offrir du travail à l’intention des ménages qui ont des possibilités
d’emploi limitées parce qu’ils doivent s’occuper de leurs enfants, le projet a
introduit en 2016/2017 un programme élargi de travaux publics qui couvre
actuellement 80 secteurs administratifs et bénéficie à 12
053 foyers, dont 71,4 % dirigés par des femmes. Aujourd’hui, le
nombre total de bénéficiaires dépasse les 200 000 ménages, soit plus
d'un million de bénéficiaires (en considérant une moyenne de 6 personnes
par ménage dans les quintiles les plus pauvres).
Dernière mise à jour: 03 déc. 2018