Le football lance ses premiers subprimes
Les opérations de crédits ont
vite remplacé la tierce propriété de joueurs, interdite par la FIFA
depuis mai 2015. Sur le modèle des prêts hypothécaires américains, une
société londonienne revend désormais des dettes de clubs aux Etats-Unis.
Les affaires reprennent.
La semaine prochaine, la Ligue des champions est de retour avec des
duels au sommet, comme Paris-St-Germain-Chelsea. Mais aussi des
rencontres moins prestigieuses, comme Benfica Lisbonne face au Zenith
St-Petersbourg. Si le premier huitième de finale verra s’affronter des
nouveaux riches aux moyens presque illimités, le second oppose deux
clubs qui transpirent pour suivre le rythme des multinationales du
football.
Mais ces seconds couteaux ont d’autres qualités. Ce sont des clients idéaux pour les intermédiaires du football. Car c’est dans des clubs de ce type que la valeur des futurs grands joueurs explose. Deux exemples: le Parisien Edinson Cavani a vu sa valeur augmenter de 437%, durant ses deux dernières saisons précédentes à Naples. La cote du Madrilène Gareth Bale s’est, elle, envolée de 680%, au cours de ses six années passées à Tottenham. Quel investisseur tournerait le dos à de tels bénéfices?
Lire aussi: Comment le FC Porto vend des footballeurs en tranches
Les TPI, pour Third-party investments, ont vite pris le relais. La différence? Les TPI sont des crédits, qui excluent la notion juridique de propriété. Un exemple, révélé par le site Football Leaks: lorsque le Portugais Bernardo Silva est transféré de Benfica à l’AS Monaco, l’hiver 2014-2015, les 15 millions d’euros ne sont pas versés à Lisbonne, mais à Londres, au bénéfice de la société XXIII Capital. Benfica, coté en bourse, a dû s’expliquer: «Le club a cédé par anticipation la totalité des crédits à XXIII Capital, recevant de façon anticipée la valeur négociée […] Il s’agit d’une opération qui est réalisée par de nombreux clubs ou sociétés sportives dans toute l’Europe».
Benfica n’a pas menti. Les TPI connaissent un développement fulgurant. Dans ce nouveau business, on retrouve à peu près les mêmes que ceux qui réalisaient des TPO. La société d’investissement basée à Londres Doyen Sports, la plus connue d’entre elles, a octroyé quelque 100 millions d’euros de crédits depuis 2011. Des chiffres globaux et officiels n’existent pas, mais une étude du cabinet d’audit KPMG permet de penser que la valeur totale de ce type d’opérations approche aisément le milliard de dollars.
Fair Play Capital, basé au Luxembourg, s’est lancé fin 2014. Sur son site, la société pose le décor: «Dans un contexte économique de resserrement drastique des concours bancaires, de nombreux clubs rencontrent des difficultés pour se financer et donc, pour investir sur le marché des transferts». Depuis la crise financière, en effet, les banques sont devenues plus regardantes. Elles ne prêtent plus aussi facilement à des entités qui, pour certaines, ont démontré leur inaptitude à gérer les millions.
Concrètement, XXIII Capital a prêté 73 millions de dollars à une poignée de clubs européens. En Espagne à l’Atletico Madrid et quelques autres, au Portugal, probablement au Benfica Lisbonne. Mais aussi en France, en Italie aux Pays-Bas et au Royaume-Uni.
XXIII Capital s’est ensuite associé à deux sociétés américaines: Guggenheim Partners pour titriser ces dettes – les regrouper puis les saucissonner – et l’agence de notation KBRA pour leur donner une note. XXIII Capital les a ensuite revendues sous formes d’obligations à des investisseurs américains, avec un taux d’intérêt annuel de 3,7%.
L’agence de notation KBRA, peu connue sous nos latitudes, le concède ouvertement: c’est la première fois qu’elle doit juger la viabilité de «Soccer bonds». Cela ne l’a pas empêché de leur octroyer la note A, que l’on peut assimiler à un 7 sur 10. Le fait que 90% de la valeur des prêts soit assurés contre le défaut de paiement rend la transaction plus sûre, défend l’auteur de cette analyse, Cecil Smart. «Il y a peu de possibilités qu’un club fasse défaut. Contrairement au monde de la musique, où l’on parie sur la somme des royalties, ces opérations sont garanties par des droits TV ou des transferts déjà conclus».
XXIII Capital est aussi restée muette. Les actionnaires de cette entité créée il y a quelques mois sont introuvables. Gestifute, la société du puissant agent portugais Jorge Mendes, y serait liée, selon nos informations. «En sachant comment fonctionne ce milieu, il est impossible qu’elle n’y ait pas de bonnes connexions», affirme un expert qui, lui aussi, souhaite rester discret. Quoi qu’il en soit, le statut juridique de XXIII Capital lui confère le droit de ne pas dévoiler combien d’obligations – de tranches de saucisson – ont été mises en vente, quels clubs lui sont redevables, ni quelles garanties ces clubs ont fait valoir pour obtenir ces prêts. «Les lignes de crédits sont sécurisées via la valeur de l’effectif», explique notamment la société dans sa documentation.
Et si un club ne peut pas rembourser sa dette? A l’image d’un emprunteur hypothécaire qui se verrait confisquer sa maison, son créancier peut s’approprier sa garantie – ses joueurs. En pratique, l’agence s’octroie généralement le droit de se servir dans les revenus encaissés par le club, que ce soit grâce à un transfert, des droits TV ou sa billetterie.
Un avis qui n’est pas partagé par tout le monde. En liant leur sort et celui de leurs joueurs à ces sociétés d’investissement, les clubs s’enferment dans une logique de court terme, avec le risque que les considérations de rentabilité l’emportent sur l’intérêt sportif, expose l’économiste du sport Christophe Lepetit, dans les colonnes de France Football. «S’engager dans la voie du TPI, ajoute-t-il, c’est mettre le doigt dans un engrenage infernal qui peut conduire à une situation de dépendance totale des clubs».
Les instances sportives ne font pas de différence entre TPO et TPI. Interrogée par Le Temps, l’UEFA rappelle, elle aussi, que «plusieurs études ont montré que ces transactions sont loin d’aider les clubs. Elles tendent à les plonger dans une situation d’endettement et de dépendance». Le règlement de la FIFA indique qu’aucun club ne peut signer un contrat qui donnerait à une autre partie la capacité d’influer sur sa politique ou ses performances. De même, un tiers ne peut pas «prétendre à une indemnité en relation avec le futur transfert d’un joueur».
L’interprétation de ces deux nouveaux articles sont aujourd’hui au cœur de l’opposition entre la FIFA et les ligues portugaise et espagnole devant la justice européenne. TPO? TPI? La balle est dans le camp des juristes.
Mais ces seconds couteaux ont d’autres qualités. Ce sont des clients idéaux pour les intermédiaires du football. Car c’est dans des clubs de ce type que la valeur des futurs grands joueurs explose. Deux exemples: le Parisien Edinson Cavani a vu sa valeur augmenter de 437%, durant ses deux dernières saisons précédentes à Naples. La cote du Madrilène Gareth Bale s’est, elle, envolée de 680%, au cours de ses six années passées à Tottenham. Quel investisseur tournerait le dos à de tels bénéfices?
À Londres plutôt qu’à Lisbonne
Jusqu’à l’an dernier, les clubs pouvaient compter sur la tierce propriété pour acheter ou retenir les meilleurs talents. Des investisseurs ou des sociétés devenaient copropriétaires de certains joueurs et touchaient leur part à la revente. Sauf que depuis mai 2015, lesdits TPO – Third-party ownership – sont interdits par la FIFA.Lire aussi: Comment le FC Porto vend des footballeurs en tranches
Les TPI, pour Third-party investments, ont vite pris le relais. La différence? Les TPI sont des crédits, qui excluent la notion juridique de propriété. Un exemple, révélé par le site Football Leaks: lorsque le Portugais Bernardo Silva est transféré de Benfica à l’AS Monaco, l’hiver 2014-2015, les 15 millions d’euros ne sont pas versés à Lisbonne, mais à Londres, au bénéfice de la société XXIII Capital. Benfica, coté en bourse, a dû s’expliquer: «Le club a cédé par anticipation la totalité des crédits à XXIII Capital, recevant de façon anticipée la valeur négociée […] Il s’agit d’une opération qui est réalisée par de nombreux clubs ou sociétés sportives dans toute l’Europe».
Benfica n’a pas menti. Les TPI connaissent un développement fulgurant. Dans ce nouveau business, on retrouve à peu près les mêmes que ceux qui réalisaient des TPO. La société d’investissement basée à Londres Doyen Sports, la plus connue d’entre elles, a octroyé quelque 100 millions d’euros de crédits depuis 2011. Des chiffres globaux et officiels n’existent pas, mais une étude du cabinet d’audit KPMG permet de penser que la valeur totale de ce type d’opérations approche aisément le milliard de dollars.
Fair Play Capital, basé au Luxembourg, s’est lancé fin 2014. Sur son site, la société pose le décor: «Dans un contexte économique de resserrement drastique des concours bancaires, de nombreux clubs rencontrent des difficultés pour se financer et donc, pour investir sur le marché des transferts». Depuis la crise financière, en effet, les banques sont devenues plus regardantes. Elles ne prêtent plus aussi facilement à des entités qui, pour certaines, ont démontré leur inaptitude à gérer les millions.
Les premiers «Soccer bonds»
Des clubs demandeurs de liquidités d’un côté, des investisseurs en quête de rendement de l’autre. XXIII Capital a parfaitement saisi l’enjeu. Elle vient de lancer les premières obligations adossées à des dettes de clubs européens. Son credo? «Apporter une valeur significative en amont et en aval de ce marché», selon des documents que Le Temps a obtenus auprès d’un club qui a été approché.Concrètement, XXIII Capital a prêté 73 millions de dollars à une poignée de clubs européens. En Espagne à l’Atletico Madrid et quelques autres, au Portugal, probablement au Benfica Lisbonne. Mais aussi en France, en Italie aux Pays-Bas et au Royaume-Uni.
XXIII Capital s’est ensuite associé à deux sociétés américaines: Guggenheim Partners pour titriser ces dettes – les regrouper puis les saucissonner – et l’agence de notation KBRA pour leur donner une note. XXIII Capital les a ensuite revendues sous formes d’obligations à des investisseurs américains, avec un taux d’intérêt annuel de 3,7%.
L’agence de notation KBRA, peu connue sous nos latitudes, le concède ouvertement: c’est la première fois qu’elle doit juger la viabilité de «Soccer bonds». Cela ne l’a pas empêché de leur octroyer la note A, que l’on peut assimiler à un 7 sur 10. Le fait que 90% de la valeur des prêts soit assurés contre le défaut de paiement rend la transaction plus sûre, défend l’auteur de cette analyse, Cecil Smart. «Il y a peu de possibilités qu’un club fasse défaut. Contrairement au monde de la musique, où l’on parie sur la somme des royalties, ces opérations sont garanties par des droits TV ou des transferts déjà conclus».
Silence et opacité
Rien ne dit que le système va s’écrouler, comme cela été le cas en 2008 lors de la crise financière aux États-Unis puis partout ailleurs dans le monde. Mais il y a une similitude évidente: l’opacité règne. L’Atletico Madrid a bien confirmé avoir eu recours à ce type de financement mais, contacté par Le Temps, il n’a pas souhaité en dire davantage. Fairplay Capital n’a pas non plus répondu à nos questions.XXIII Capital est aussi restée muette. Les actionnaires de cette entité créée il y a quelques mois sont introuvables. Gestifute, la société du puissant agent portugais Jorge Mendes, y serait liée, selon nos informations. «En sachant comment fonctionne ce milieu, il est impossible qu’elle n’y ait pas de bonnes connexions», affirme un expert qui, lui aussi, souhaite rester discret. Quoi qu’il en soit, le statut juridique de XXIII Capital lui confère le droit de ne pas dévoiler combien d’obligations – de tranches de saucisson – ont été mises en vente, quels clubs lui sont redevables, ni quelles garanties ces clubs ont fait valoir pour obtenir ces prêts. «Les lignes de crédits sont sécurisées via la valeur de l’effectif», explique notamment la société dans sa documentation.
Et si un club ne peut pas rembourser sa dette? A l’image d’un emprunteur hypothécaire qui se verrait confisquer sa maison, son créancier peut s’approprier sa garantie – ses joueurs. En pratique, l’agence s’octroie généralement le droit de se servir dans les revenus encaissés par le club, que ce soit grâce à un transfert, des droits TV ou sa billetterie.
Le risque d’une «dépendance totale»
La grande question, c’est de savoir si ces tierces partie ont une influence directe sur la gestion de l’effectif des clubs. Pour Fairplay Capital, Doyen, XXIII Capital et KBRA, les équipes restent libres de leurs mouvements. Avec les TPI, complète Francisco Empis, porte-parole de Doyen Sport, «nous mettons à disposition des clubs une somme qu’ils remboursent à la revente d’un joueur». Mais c’est optionnel, et c’est là que se situe toute la nuance, insiste-t-il. Car tous ces contrats incluent une clause de sortie. «Le club n’est donc pas obligé de vendre un joueur, il peut, théoriquement, rembourser sa dette par le biais d’autres rentrées d’argent».Un avis qui n’est pas partagé par tout le monde. En liant leur sort et celui de leurs joueurs à ces sociétés d’investissement, les clubs s’enferment dans une logique de court terme, avec le risque que les considérations de rentabilité l’emportent sur l’intérêt sportif, expose l’économiste du sport Christophe Lepetit, dans les colonnes de France Football. «S’engager dans la voie du TPI, ajoute-t-il, c’est mettre le doigt dans un engrenage infernal qui peut conduire à une situation de dépendance totale des clubs».
Les instances sportives ne font pas de différence entre TPO et TPI. Interrogée par Le Temps, l’UEFA rappelle, elle aussi, que «plusieurs études ont montré que ces transactions sont loin d’aider les clubs. Elles tendent à les plonger dans une situation d’endettement et de dépendance». Le règlement de la FIFA indique qu’aucun club ne peut signer un contrat qui donnerait à une autre partie la capacité d’influer sur sa politique ou ses performances. De même, un tiers ne peut pas «prétendre à une indemnité en relation avec le futur transfert d’un joueur».
L’interprétation de ces deux nouveaux articles sont aujourd’hui au cœur de l’opposition entre la FIFA et les ligues portugaise et espagnole devant la justice européenne. TPO? TPI? La balle est dans le camp des juristes.