Chine : avec la fin de la
rééducation par le travail, "Xi Jinping démontre son autorité"
Pékin a publié,
quelques jours après la fin d'une réunion politique importante, le programme de
la nouvelle équipe dirigeante pour les années à venir. Le régime a notamment annoncé la fin du système décrié de la rééducation
par le travail mis en place par Mao à la fin des années 1950 et
l'assouplissement de la politique de contrôle des
naissances. Pour Nicholas Bequelin, chercheur à Human Rights Watch à Hongkong
et spécialiste du système judiciaire chinois, Xi Jinping consolide son pouvoir tout en menant des réformes qui doivent permettre au Parti communiste de s'adapter aux temps nouveaux et à la pression croissante des revendications de
la population.
Nicholas Bequelin : cela avait été
annoncé dès janvier à la première réunion du comité politique et légal. Meng
Jianzhu, le responsable de la sécurité, l'avait alors dit. Ensuite, nous avons
appris de la part de personnes qui sortaient du "laojiao" que les
autorités avaient arrêté de faire entrer de nouveau détenus. Nous étions assez confiants sur le fait que le
système allait disparaître. L'annonce intervient au moment de la publication du document
programmatique à la suite du troisième plénum.
Tout était prêt pour
l'abolition. Personne ne le défendait à part l'appareil de sécurité. La
communauté juridique, les juges, les procureurs, les avocats et l'opinion
publique, tout le monde était pour sa suppression. Il n'y avait qu'à appuyer sur le bouton. Mais
jusqu'à présent, la Sécurité publique (police), dont c'était le joujou favori,
bloquait cette réforme. Ce n'est donc qu'après que Xi Jinping eut réussi à sortir le chef de l'appareil
de sécurité du bureau politique que cette réforme est devenue faisable.
Cela sert plusieurs
buts. Cela remet à sa place l'appareil de sécurité, cela enlève un système qui
était un obstacle aux réformes du système pénal. Cela n'a en effet aucun sens
de consolider un système s'il en existe un parallèle et complètement arbitraire,
sans aucune procédure. Dans le même temps, il démontre son autorité, c'est un
geste symbolique, cela prouve sa capacité de faire des réformes et de s'attaquer à des groupes d'intérêts qui les bloquaient.
Ces annonces
interviennent après une vague de répression dénoncée par les associations des
droits de l'homme. Dans l'annonce, il est question de la protection de ces
derniers. Xi Jinping a-t-il la volonté d'améliorer la situation dans ce domaine ?
Les réformes annoncées
ne sont pas des réformes politiques, elles visent à consolider l'autorité du parti en s'attaquant aux défauts du système judiciaire
les plus visibles et les plus gênants, la rééducation par le travail, les
confessions forcées, les procès iniques, etc. Le
parti identifie l'érosion de la confiance dans les institutions légales comme
un problème social majeur. Il doit
s'attaquer au problème de la justice pénale et du
système juridique en général, car il est aussi question des pétitionnaires et
de la Constitution. Il ne faut pas cependant croirequ'il s'agit de
premiers pas vers une réforme politique. Il n'y a aucune indication sur le fait
qu'il y aura une plus grande tolérance envers les dissidents et les critiques.
Au contraire, il semble que Xi Jinping soit plus intransigeant, en particulier
parce qu'il essaie de pousser ces réformes. Il est encore moins disposé à tolérer des trouble-fêtes.
En abolissant la
rééducation par le travail et en assouplissant la politique de l'enfant unique,
Xi Jinping cherche-t-il à s'adresser aux demandes des classes moyennes urbaines ?
Sur toutes ces
questions, il y avait un très fort consensus au sein des institutions. Quand Xi
Jinping demande conseil à la technocratie chinoise, c'est la réponse qui lui
est faite : il faut abolir la rééducation par le travail et assouplir le système de contrôle des naissances. Sur ce dernier point, ce n'est
pas une avancée des droits, c'est une permission. Le système reste en place,
mais on donne à une catégorie de personnes le droit d'avoir un deuxième enfant. C'est discrétionnaire.
Le système de la
rééducation par le travail était totalement obsolète, associé à la campagne
contre les droitiers à la fin des années 1950 et aux excès des années Mao. En
plus, l'utilisation par Bo Xilai (homme politique rival de Xi Jinping déchu et
condamné à la prison à vie) à Chongqing de ce système a été la goutte d'eau qui
a fait déborder le vase.
C'est aussi une
volonté du Parti communiste de dépasser des problèmes qui ont été identifiés dans la société. Le parti sait
qu'il doit s'adapter s'il veut survivre, confronté à une situation de plus grande volatilité et instabilité
sociales. C'est s'adapter pour survivre. On n'est pas dans un mode de réformes
politiques comme en 1986-1987.
La transition
politique avait été assez sanglante. Il a passé un an à s'attaquer aux faiblesses du système politique qui avaient été identifiées avant
cette transition : manque de charisme et de légitimité des dirigeants, groupes
d'intérêts, dont les entreprises publiques, s'opposant à des
réformes, corruption... Il a conforté progressivement son pouvoir et maintenant il présente son programme pour les dix ans. Les dix
dernières années ont été perdues, la pression de la société monte et il faut
une alternative aux réformes politiques, soit c'est l'économie ou le droit. Là,
c'est plutôt le choix de l'économie. Il montre également que le parti doit s'adapter, sinon il est en péril. C'est un parti léniniste-darwiniste.
Source : Le Monde.fr, le 16
nov 2013