L’Inde rétrogradée au rang d’autocratie
Sophie Landrin
Trois organismes indépendants soulignent
le déclin démocratique du pays depuis l’avènement de Narendra Modi au pouvoir,
en 2014.
© Fournis par Le Monde Le premier
ministre indien, Narendra Modi, s’adresse à une foule de supporters du parti
Bharatiya Janata (BJP) en amont des élections législatives, à Kolkata, le 7
mars 2021.
L’Inde, avec son 1,3 milliard d’habitants, n’est
plus la plus grande démocratie du monde. L’institut suédois V-Dem (Varieties of
Democracy), qui a publié, jeudi 11 mars, son rapport annuel sur la
démocratie, classe désormais le sous-continent dans la catégorie des
« autocraties électorales », qui ont l’apparence des régimes
démocratiques mais qui, en réalité, sapent l’indépendance et la neutralité des
contre-pouvoirs, la justice, les médias, et transforme les opposants en ennemis
de la nation. Le pays du Mahatma Gandhi arrive en 7e position après la Pologne,
la Hongrie, la Turquie, le Brésil, la Serbie et le Bénin.
Le centre de recherche indépendant de l’université de
Göteborg constate une détérioration des libertés depuis l’accession au poste de
premier ministre du nationaliste hindou Narendra Modi, en 2014, et estime
qu’il s’agit d’« un des changements les plus spectaculaires parmi tous les
pays du monde au cours des dix dernières années ».
Dans l’Inde de Narendra Modi, l’effroi grandissant des journalistes
V-Dem rappelle l’éventail des mesures déployées par le
gouvernement indien pour museler la société civile et la liberté d’expression.
Cela va des dispositions financières pour couper les vivres des ONG, jusqu’aux
lois sur la sédition, ou sur la prévention des activités illégales en passant
par la censure et le contrôle des médias. Un arsenal utilisé pour
« harceler, intimider et emprisonner les opposants politiques, ainsi que
les personnes qui protestent contre les politiques du gouvernement ».
Intimidation croissante
Deux autres études confirment la dérive de la
démocratie en Inde. Dans son rapport annuel sur l’état des libertés dans le
monde, l’ONG Freedom House, basée aux Etats-Unis, rétrograde elle aussi l’Inde
au rang des pays « partiellement libres ». Les auteurs soulignent que
la politique répressive de Modi s’est amplifiée avec le Covid-19, le
harcèlement de journalistes couvrant la pandémie, l’abandon de millions de
travailleurs migrants durant le confinement, et la désignation de « boucs
émissaires » parmi les musulmans.
Freedom House a fait le calcul : plus de
7 000 personnes ont été accusées de sédition après l’arrivée au pouvoir du
Bharatiya Janata party (BJP) et la plupart des accusés sont des opposants du
parti de Narendra Modi. Comme V-Dem, l’ONG constate que les droits politiques
et les libertés civiles dans le pays se sont détériorés depuis 2014, avec une
pression accrue sur les organisations de défense des droits de l’homme, une
intimidation croissante des universitaires et des journalistes, et une vague
d’attaques contre les musulmans.
« Modi veut vendre nos terres » : la révolte des paysans
indiens
Ce déclin s’est très nettement accéléré après la
réélection de M. Modi en 2019 avec, notamment, le coup de force au
Cachemire, la répression contre les manifestants opposés à une loi
discriminatoire et la crise du coronavirus.
Dans un troisième classement, celui du département
« Intelligence Unit » du magazine britannique The Economist sur
l’état de la démocratie dans le monde, l’Inde se retrouve dans la catégorie des
démocraties « imparfaites », notamment parce que le gouvernement
dirigé par Narendra Modi « a introduit un élément religieux dans la
conceptualisation de la citoyenneté indienne » en contradiction avec la
laïcité inscrite dans la Constitution.