En 1994, la Conférence internationale sur la population et le développement (CIPD) du Caire avait changé l’approche globale du contrôle des naissances, pour placer la femme au coeur du développement. Sa seconde édition, 25 ans plus tard à Nairobi, a vu les Africaines occuper le devant de la scène.
Le temps d’une génération s’est écoulé depuis la CIPD du Caire, en 1994, dont le plan d’action avait été renforcé un an plus tard par la Déclaration de la conférence de Beijing sur les femmes. Le changement qui s’est produit sur un quart de siècle saute aux yeux, au Centre international de conférence Kenyatta. Des Africaines de tous âges et horizons ont été omniprésentes à la CIDP25 de Nairobi, qui a rassemblé du 12 au 14 novembre quelque 9 500 personnes venant de 170 pays. Une conférence internationale de portée globale, donc, mais qui traite de sujets qui concerne l’Afrique au premier chef.
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« À quoi ressemble une fille de 10 ans enceinte ? », a ainsi lancé Faith Mwangi-Powell, directrice kényane de l’ONG internationale Girls not brides, lors d’un panel consacré aux mariages d’enfants. « Est-ce ce que nous voulons voir ? Qu’elles aient 10, 12 ou 15 ans, c’est une condamnation à mort ! » Dans une autre session sur le chemin accompli depuis 1994, Faith Opiyo, 27 ans, à la tête de la Kenya Girls Guide Association, a été vivement applaudie lorsqu’elle a affirmé que « La culture chez nous veut que l’homme porte le préservatif et soit en charge du plaisir, et la femme de la reproduction. Les femmes doivent savoir dire non, et prendre la responsabilité du plaisir. ».
Faire changer les textes et les comportements
En phase, les aînées occupant des postes de responsabilité ont tenu le même type de propos. « Les jeunes filles rejettent le terme de planning familial ; elles ne veulent pas planifier une famille, mais simplement ne pas tomber enceintes ! », a ainsi expliqué Natalia Kanem, afrodescendante du Panama, directrice exécutive du Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA), organisateur de la conférence avec les gouvernements du Kenya et du Danemark.
Il a aussi été question de « bonnes pratiques » qui demandent à être généralisées, telles que les « écoles de maris » qui visent à changer les comportements. Lancés par le programme Autonomisation des femmes au Sahel et dividende démographique (SWEDD), financé depuis 2013 par la Banque mondiale et pilotée par l’UNFPA, ces clubs où écoles voient des mentors masculins former les hommes, qui prennent les décisions concernant la santé des épouses, sur la santé sexuelle et reproductive. « Avant le lancement du projet, 9 femmes sur 10 disaient ne pas pouvoir utiliser la contraception moderne sans l’accord de leur mari, relève la ministre burkinabè de la Santé, Léonie Claudine Lougué Sorgho. Cette tendance s’est inversée, ce qui démontre que le changement est possible ».
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Le chemin parcouru depuis 1994
La CIPD25 a été l’occasion de faire le bilan sur les progrès faits depuis 1994. La mortalité maternelle a baissé de 44 % au niveau mondial selon l’UNFPA. Dans les 30 pays où les mutilations génitales féminines sont les plus répandues, près de la moitié des filles les avaient subies en 1994, contre moins d’un tiers aujourd’hui. En 1994, un tiers des jeunes femmes dans le monde étaient mariées avant l’âge de 18 ans, contre moins d’un quart aujourd’hui.
Au Kenya, la mortalité maternelle a baissé de moitié en 25 ans, passant de 698 à 362 décès pour 100 000 naissances, tandis que le taux de fécondité est passé de 6,1 à 3,9 enfants par femme (contre une moyenne africaine de 4,4 enfants). « Malgré ces progrès, a déclaré Sicily Kariuki, secrétaire d’État du Kenya à la Santé, des femmes meurent encore en couches. Les grossesses précoces et pratiques néfastes continuent. La question se pose désormais en termes de qualité des soins. Au Kenya, 20 000 vies sont perdues chaque année pour cette raison. »
Le même constat prévaut à travers le continent, même si la planification familiale est « devenue la norme partout, y compris dans la formation des infirmiers et médecins », note Marleen Temmerman, obstétricienne belge et chef d’un Centre d’excellence pour la santé de la femme et de l’enfant à l’Université Aga Khan de Nairobi. Les mentalités ne changent pas assez vite, cependant, pour capturer le « dividende démographique », comme le Japon l’a par exemple fait en 1961, l’épargne retraite ayant permis de financer les infrastructures et l’essor économique.
Ce qu’il reste à faire
« On sent une présence plus militante des femmes, relève Mabingué Ngom, directeur du bureau régional de l’UNFPA en Afrique de l’Ouest et centrale. La question du dividende démographique s’est trouvée au cœur des déclarations faites par les gouvernements africains. Nous avons convenu avec les ODD que nous n’allons pas partir en ordre dispersé : les enjeux sont liés. On ne peut séparer l’éducation de la santé de l’emploi ou l’autonomisation des femmes ».
S’il a été question du vieillissement de la population au Japon et du taux de fécondité négatif de la Bulgarie, la conférence n’a pas abordé frontalement les questions de migration. Elle est restée focalisée sur les trois « zéros » de l’agenda de l’UNFPA – zéro besoin non satisfait en contraception, zéro décès maternel possible à prévenir, zéro violence basée sur le genre.
L’UNFPA a estimé, avec l’aide de plusieurs universités américaines, à 264 milliards de dollars les besoins financiers pour parvenir à ces objectifs – soit un peu plus que le PIB annuel de l’Égypte. La conférence s’est clôturée le 14 novembre sur 1200 engagements concrets et une promesse de 1 milliard de dollars venant de gouvernements européens, en plus du Canada et de la Commission européenne. De son côté, le secteur privé a annoncé 8 milliards de contributions à l’horizon 2030 des Objectifs du développement durable (ODD).
« Il n’y aura pas de CIPD50 », a conclu l’envoyé spécial du Danemark, optimiste, alors que Mama Sampy, 17 ans, vice-présidente du Parlement des enfants du Mali, a souligné le côté paradoxal de la situation. « Une camarade a quitté l’école deux mois avant l’examen du brevet pour être mariée. Une autre a déjà deux enfants. Ce sont les questions qui nous intéressent, nous les filles du Mali. Dans ces conditions, comment parler de financer des programmes ? Il faut d’abord tenir les promesses ! Les textes au Mali permettent le mariage des filles à partir de 15 ans, en contradiction avec les conventions internationales ». Mama Sampy appartient à une génération qui veut non seulement voir sa voix porter, mais aussi être suivie d’effets.
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