L'élargissement de l'Union européenne
Synthèse 07.08.2018
Comment l'Union européenne est-elle passée de 6 à 28 membres ? Qui sont aujourd'hui les candidats à l'adhésion ? La Turquie intègrera-t-elle un jour l'Union européenne ? L'essentiel sur l'élargissement de l'Union européenne en 3 minutes.
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Travailler ensemble pour éviter la guerre
"L’Europe ne se fera pas d'un coup, ni dans une construction d'ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes, créant d'abord une solidarité de fait". Le 9 mai 1950, le ministre des Affaires étrangères français, Robert Schuman, annonçait ainsi sa proposition de "placer l'ensemble de la production franco-allemande du charbon et d'acier sous une Haute Autorité commune". Ce discours, devenu célèbre sous le nom de Déclaration Schuman, a marqué le début de l’aventure européenne : la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) avec ses six pays fondateurs constitue en effet le noyau autour duquel l’Europe s’est ensuite rassemblée.
L’objectif du projet européen - et donc de ses futurs élargissements - y était aussi défini : la gestion commune des ressources par plusieurs États afin d’écarter l’éventualité d’un conflit. Une idée que Schuman résuma ainsi cinq ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale : "la solidarité de production qui sera ainsi nouée manifestera que toute guerre entre la France et l'Allemagne devient non seulement impensable, mais matériellement impossible". Ce même principe, valable en 1950 pour les deux États divisés par une "opposition séculaire", s’est depuis étendu aux autres pays européens. Aujourd’hui, il constitue l’un des aspects les plus attrayants de l’UE aux yeux des États qui souhaitent intégrer cet "espace de paix".
Discours de Robert Schuman sur la création de la CECA
De 6 à 28 (ou 27 ?)
A la déclaration du 9 mai 1950 succède un an plus tard la naissance de la CECA. Les États qui acceptent de mettre en commun leur production de charbon et d’acier sont alors six : la France, la République fédérale d’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg, pays fondateurs de l’Union européenne.
Ce sont en effet les mêmes qui signent en 1957 les Traités de Rome, établissant la Communauté européenne de l'énergie atomique (Euratom) et, surtout, la Communauté économique européenne(CEE). L’élargissement y est déjà prévu à l’article 237.
En 1973, le premier élargissement porte à 9 le nombre d’États membres de la CEE (ainsi que ceux de la CECA et d’Euratom) : le Danemark, l’Irlande et le Royaume-Uni rejoignent le groupe des six fondateurs. Longtemps désintéressée des ambitions communes de ses "voisins continentaux" durant les années 1950, Londres demande, dès les années 1960, de pouvoir rejoindre le club européen, mais se heurte deux fois au refus de Paris avant d’être finalement acceptée en 1973. Cependant, son adhésion aux Communautés européennes ne tardera pas à produire les premières frictions.
Durant les années 1970, la fin de la dictature militaire en Grèce (1967-1974) met fin à l’isolement diplomatique dans lequel s’était retrouvé le pays. Athènes dépose sa candidature auprès des Communautés européennes (CE) en 1975 et, en 1981, devient le dixième État membre.
Une histoire similaire marque l’élargissement suivant. Les régimes dictatoriaux au Portugal et en Espagne se terminent respectivement en 1974, avec la révolution des Œillets, et en 1975, avec la mort de Francisco Franco. Après les premières élections libres et l’adoption de nouvelles constitutions, Portugal et Espagne rejoignent le projet européen en 1986. L’"espace de paix" né après la fin de la Seconde guerre mondiale devient aussi une garantie de démocratie.
Le début des années 1990 marque la fin des régimes communistes, la réunification de l’Allemagne et, pour les Communautés européennes, la signature du Traité de Maastricht. Les trois CE laissent ainsi leur place à l’Union européenne qui devient formellement un projet politique et non seulement économique. En 1995, les États membres de l’UE passent de 12 à 15, avec l’intégration de l’Autriche, de la Suède et de la Finlande. La Norvège et la Suisse, qui adhèrent déjà à l’AELE (Association européenne de libre-échange) et qui avaient pourtant déposé leur candidature auprès de l’Union, finissent par rejeter l'adhésion par référendum.
Les trois dernières vagues d’élargissements, à partir des années 2000, portent l'UE à treize nouveaux États membres. En 2004, dix pays y accèdent : Chypre, la République tchèque, l'Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, Malte, la Pologne, la Slovaquie et la Slovénie. Trois ans plus tard, en 2007, c’est au tour de la Roumanie et de la Bulgarie, tandis qu’en 2013 la Croatie devient le 28ème pays membre.
L’année suivante, le nouveau président de la Commission européenne tout juste élu, Jean-Claude Juncker, annonce que durant son mandat, c’est-à-dire jusqu’en 2020, "il n’y aura pas de nouveaux élargissements de l’Union européenne". L’Islande, qui avait posé sa candidature en 2009, la retire en 2015.
L’UE entre Brexit et Balkans
La possibilité de sortir de l’Union européenne a été introduite seulement en 2007, avec le traité de Lisbonne entré en vigueur deux ans plus tard. Encadrée par l’article 50 du traité sur l’Union européenne (TUE), cette éventualité théorique est très vite devenue un scénario concret, suite au référendum britannique du 23 juin 2016. La victoire du "leave" ("sortir") a en effet déclenché pour la première fois la procédure qui permettra à un État membre de quitter l’UE. Le sort du Royaume-Uni devrait être défini au plus tard le 29 mars 2019 (deux ans après l'activation de l’article 50 du TUE, comme défini par celui-ci). Les négociations sur les modalités de la sortie et les relations futures du pays avec l'Union sont toujours en négociation, mais un certain nombre de points de blocage fait planer l'inquiétude d'une sortie sans accord.
L’Union fait face entre temps à d’autres pays qui demandent, quant à eux, à intégrer le projet commun. Dans le sud-est européen, sept pays attendent en effet aux portes de l’UE. Cinq sont officiellement candidats à l’adhésion (Albanie, Macédoine, Monténégro, Serbie et Turquie) et deux sont des "candidats potentiels" (Bosnie-Herzégovine et Kosovo). Pour les Balkans, frappés par une longue guerre fratricide durant les années 1990, l’intégration européenne signifierait avant tout la fin des tensions bilatérales. Elle rendrait le conflit "non seulement impensable, mais matériellement impossible", pour utiliser les mots de Robert Schuman. Pour l’UE, intégrer cette région signifierait une victoire géopolitique face à d’autres acteurs (notamment la Russie) et donc davantage de sécurité.
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Le cas de la Turquie est particulier. Ankara a présenté sa candidature il y a 30 ans, en 1987, mais son processus d’adhésion à l’UE a très peu progressé. Sa candidature a bien été acceptée par l’UE (à la différence de celle du Maroc, rejetée en 1985), mais la perspective d'intégrer ce grand pays, majoritairement musulman et situé aux frontières de l'Europe "géographique", suscite de nombreux débats.
La question de Chypre, dont la partie nord est occupée depuis 1974 par l’armée turque, bloque également toute avancée dans les négociations. Mais c'est surtout la répression qui a suivi les manifestations de Gezi en 2013 et plus encore le coup d'État manqué en 2016, qui ont éloigné Bruxelles et Ankara.
Les règles de l’élargissement
Maroc, Turquie, Balkans… Les différentes réponses données par les institutions européennes aux demandes d’intégration montrent bien que la politique d’élargissement suit des règles précises. L’article 49 du TUE discipline cette matière en statuant que "tout État européen qui respecte les valeurs visées à l'article 2 et s'engage à les promouvoir peut demander à devenir membre de l’Union". Le pays candidat doit donc être "un État européen" et se fonder sur "les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'État de droit, ainsi que de respect des droits de l'homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités".
Ensuite, sa demande d’adhésion doit être approuvée "à l’unanimité" par le Conseil de l'Union européenne, "après avoir consulté la Commission et après approbation du Parlement européen". C'est à ce moment qu'un dialogue officiel s’instaure entre Bruxelles et l’État candidat, afin d’établir si ce dernier est en mesure de remplir "les conditions économiques et politiques requises" et de "souscrire aux objectifs de l’Union politique, économique et monétaire", comme précisé en 1993 par le Conseil européen de Copenhague. Durant ce processus, les pays candidats (et même les "candidats potentiels") peuvent bénéficier de l’Instrument d'aide de préadhésion (IAP) établi pour faciliter l’implémentation de "l’acquis communautaire".
Plusieurs années sont alors nécessaires pour comparer la législation de l’Union, divisée en une trentaine de chapitres, aux dispositions en vigueur dans le pays candidat, dans le but de vérifier si l’État qui souhaite intégrer l’UE assure les mêmes standards européens en termes d'État de droit, de système judiciaire, d'économie, d'environnement... Une fois ces chapitres "clos", le Conseil européen rend sa décision à l’unanimité. Un traité d’adhésion est alors dressé avec le pays candidat et est ensuite soumis à l’approbation du Parlement et à l’accord unanime du Conseil. Lorsqu’il est enfin ratifié par tous les États membres, l’Union européenne peut fêter un nouvel élargissement !
Débats et perspectives
L’élargissement permet à l’Union européenne d’agrandir son territoire, sa population, de s’imposer sur l’échiquier géopolitique face aux autres acteurs majeurs mondiaux, mais rend inévitablement le processus décisionnel au sein de ses institutions plus complexe. Au fur et à mesure de l'élargissement de l'UE, le nombre de participants aux réunions du Conseil a aussi augmenté, tout comme la liste des commissaires européens et des eurodéputés siégeant dans l’hémicycle de Strasbourg. Deux positions s’affrontent alors : faut-il accélérer l’adhésion de nouveaux États membres ou approfondir l’union déjà créée ?
L’agrandissement constant de l’UE, soutiennent ses détracteurs, produit dans l’Union trop de différences économiques, sociales et politiques, sans laisser le temps pour qu’une véritable cohésion s’établisse entre les Etats membres. De l’autre côté, les partisans de l’élargissement expliquent que le gel de cette politique, décidé par Juncker en 2014, a provoqué un sentiment de frustration dans les Balkans, contribuant à déstabiliser la région et, indirectement, à rendre plus attrayantes les promesses de la Russie aux yeux de certains pays candidats, notamment la Serbie. Comment faut-il alors gérer l’élargissement et jusqu’où vont les frontières de l’UE ? Les réponses à ces questions définissent le sens même du projet européen.
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