Le partenariat signé
entre les Etats-Unis et onze pays de la zone Asie-Pacifique est beaucoup plus
qu'un accord commercial. Pour Washington, il est aussi et surtout un moyen de
limiter l'influence chinoise dans la région.
Par Yann Rousseau
Correspondant à Tokyo et Alain Ruello Correspondant à Pékin
Les opposants démocrates, ou plus tard républicains, d'Hillary Clinton dans
la course à la Maison-Blanche vont se régaler dans les prochaines semaines de
son soudain revirement sur le Partenariat transpacifique ou TPP. Mercredi soir,
quelques jours seulement après la signature de l'accord par douze nations de la
zone Asie-Pacifique, l'ancienne secrétaire d'Etat des Etats-Unis a affirmé
qu'elle ne pouvait plus soutenir le très ambitieux pacte économique qu'elle
avait pourtant elle-même encouragé et surtout théorisé au début des années
2010. Dès qu'ils se sont associés aux négociations, initiées par le Chili, la
Nouvelle-Zélande, Brunei et Singapour, les Etats-Unis de Barack Obama et
d'Hillary Clinton ont vu dans le TPP beaucoup plus qu'un simple accord
commercial. Le pacte, qui a ensuite été rejoint par le Canada, le Mexique, le
Pérou, la Malaisie, le Vietnam, l'Australie et finalement le Japon, allait
devenir un élément central de leur stratégie de repositionnement géopolitique
dans une Asie où leur influence, longtemps incontestée, se retrouvait soudain
concurrencée par la Chine.
Tombant le masque de « l'émergence pacifique », sous lequel le
pouvoir chinois avait promis d'organiser sa montée en puissance, Pékin se
sentait, alors, en mesure d'affirmer plus fermement son ascendant sur la
région. La crise financière de 2008 avait finalement prouvé les limites du
modèle libéral occidental et démontré la pertinence du « capitalisme aux
caractéristiques chinoises » défendu par le régime communiste. La
croissance chinoise ne s'était, elle, pas effondrée et les pays de l'Asean
avaient pu compter sur cette bouée de sauvetage offerte par leur plus grand
partenaire économique.
S'attribuant une nouvelle légitimité, la Chine s'est montrée très vite plus
ambitieuse, et même agressive, dans la zone. En mai 2009, le pouvoir communiste
publiait une carte de la mer de Chine méridionale où un trait en pointillés,
lui attribuait le contrôle de 80 % de la zone maritime. Dans les semestres
qui ont suivi, Pékin n'a pas hésité à bousculer les Philippines et le Vietnam
qui osaient contester ses revendications sur des îlots situés tout près de
leurs côtes.
Confrontés à cette nouvelle arrogance et aux angoisses de ses alliés
asiatiques, notamment philippins et japonais, les Etats-Unis, qui avaient joui
après 1990 d'une hégémonie « unipolaire », ont proposé, dès 2011, de
graduellement redéployer des troupes dans la zone. A l'horizon 2020, 60 %
des forces navales et aériennes du pays seraient installées dans la région
Inde-Pacifique, promettait Washington. Mais ce redéploiement peine encore à se
concrétiser, avec l'éclatement de nouvelles crises en Europe et au
Moyen-Orient. Pour Washington, le TPP est, dès lors, devenu la seule preuve
concrète de son repositionnement dans la région. « Pour
moi, l'accord commercial est aussi important qu'un autre porte-avions », soufflait, en avril
dernier, Ashton Carter, le secrétaire américain à la Défense.
Sous l'impulsion de l'administration Obama, les négociations du partenariat
n'ont pas porté seulement sur une réduction des tarifs douaniers imposés aux
dizaines de milliers de produits échangés entre les douze partenaires, mais ont
surtout poussé les capitales participantes à s'inscrire dans un modèle de
développement très libéral, inspiré des valeurs américaines. Les
30 chapitres de l'accord définissent ainsi de nouvelles règles de
protection de l'environnement et demandent aux Etats de mettre à niveau leur
droit du travail, notamment en définissant un salaire minimum. Le traité va
renforcer dans les pays émergents la protection de la propriété intellectuelle
et contraindre la Malaisie ou encore le Vietnam à confronter leurs sociétés
d'Etat, très subventionnées, à la concurrence du privé. Les marchés publics
seront aussi plus ouverts. « Si nous n'écrivons pas
ces règles économiques dans la région, la Chine le fera »,avait résumé, au
printemps, Barack Obama, convaincu que le pouvoir autoritaire chinois
rechignerait longtemps avant de se rallier au modèle économique et social
défini par le TPP.
Beau joueur, Pékin n'a pas pu faire autrement que de saluer la conclusion
du Partenariat transpacifique : tout ce qui renforce l'intégration dans la
zone est bon, le TPP est une bonne chose, a déclaré en substance le ministère
du Commerce, espérant que cela favorise la croissance, mais aussi les
négociations d'autres accords de libre-échange. Sous-entendu, pas question
d'abandonner les discussions en vue de la mise en place du RCEP, un projet de
partenariat régional économique poussé par Pékin pour créer une zone de
libre-échange sans aucun acteur occidental. Il n'empêche. La Chine a longtemps
été hostile au TPP et le reste certainement encore, devant ce qu'elle perçoit
comme l'arme de Washington pour limiter son influence dans la région.
Si les Etats-Unis sont convaincus d'avoir marqué un point, le rapport de
force entre les deux mâles dominants du Pacifique ne va pas changer
brutalement. Pour Douglas Lippoldt, un économiste d'HSBC, la Chine ne peut être
présentée comme la grande perdante du traité et les conséquences de sa mise en
oeuvre, s'il est jamais ratifié par le Congrès américain, seront probablement
minimes. Le président chinois sait, par ailleurs, que la poussée d'influence
américaine ne peut se substituer à la force des échanges commerciaux tissés, au
fil des ans, par Pékin, même si le récent ralentissement économique du géant
asiatique érode un peu ce pouvoir d'attraction. Aucun des pays participant au
TPP ne pourra jamais se permettre de snober le grand voisin asiatique.
Yann Rousseau
Correspondant à Tokyo
source : Les Echos.fr