vendredi 13 février 2015

La Grèce au pied du mur : l'analyse de l'IRIS

Interview
6 février 2015
Le point de vue de Christophe Ventura
Sur le plan intérieur, le programme politique de Syriza est très ambitieux. Selon vous, ce programme est-il réalisable ? Autrement dit, le parti a-t-il les moyens de ses ambitions ?
Le programme intérieur de Syriza est surtout raisonnable et nécessaire au vu de l’immense crise sociale qui meurtrie la société grecque. C’est pour cela que les mesures proposées - qui ont permis à Aléxis Tsípras d’être élu – sont qualifiées d’humanitaires par le gouvernement grec. Les besoins sont certes chiffrés à hauteur de 13 milliards d’euros, mais cela est tout à fait finançable. D’ailleurs, le gouvernement grec a proposé une stratégie crédible de mise en place de ces mesures - qui rompent très clairement avec les politiques d’austérité imposées à la Grèce - qui permettrait d’atteindre l’équilibre budgétaire et qui ne grèverait pas les finances du pays. Si le problème n’est donc pas le financement, ce sont les propositions en elles-mêmes qui constituent un pari pour le gouvernement. En effet, ce dernier prône leur application dans le cadre du maintien du pays dans la zone euro. C’est ce dernier point qui, aujourd’hui, cristallise tout le conflit entre la Troïka et la Grèce. Le gouvernement Tsípras, en mettant un coup d’arrêt aux privatisations, en proposant la réembauche des milliers de fonctionnaires qui ont été licenciés, en annonçant une augmentation du salaire minium, en réévaluant les pensions de retraite, en arrêtant les mesures d’austérité en matière de santé publique dans les hôpitaux, en reconnectant la population à l’électricité, etc., contrevient formellement et frontalement au mémorandum et aux programmes qui ont été imposés par la Troïka en échange des prêts octroyés aux gouvernements grec précédents. Le gouvernement Tsipras souhaite porter le débat sur l’austérité au cœur de l’agenda de l’Europe.

Les partenaires européens de la Grèce ne veulent pas entendre parler de l’annulation de sa dette. Néanmoins la question de sa renégociation auprès des instances européennes est toujours d’actualité. Quels résultats pensez-vous que le gouvernement grec puisse obtenir ? La renégociation est-elle possible ?
Le gouvernement Tsípras a fait plusieurs propositions assez inattendues qui ont surpris ses interlocuteurs européens. Ces propositions - par exemple l’échange des titres de la dette grecque détenus par la Banque centrale européenne contre des « obligations perpétuelles » sur lesquelles l’Etat n’auraient plus que les intérêts à rembourser - semblaient traduire le souhait de la Grèce d’obtenir du temps pour négocier un rééchelonnement plutôt qu’une annulation de sa dette (qui constituait sa position initiale). Mais la décision prise, en réponse, le 4 février par la Banque centrale européenne (BCE) est un nouvel élément dans ce jeu complexe qui vient fermer les marges de manœuvre possibles pour une véritable négociation.

La Banque centrale européenne (BCE) a annoncé le 4 février la suspension du régime de faveur qu’elle accordait aux banques grecques. Comment interprétez-vous cette décision ? Cette attitude de la BCE vous semble-t-elle justifiée et légitime ? Quelle posture la France devrait-elle adopter face à cette annonce ?
L’annonce de la BCE - qui consiste à couper le robinet des liquidités à destination du secteur bancaire grec - est une réponse autoritaire aux annonces faites par le gouvernement grec depuis son arrivée au pouvoir. Autrement dit, puisqu’Aléxis Tsípras affirme qu’il va mettre un terme aux politiques d’austérité, la BCE décide d’interrompre ses flux de liquidités à destination des banques hellènes auxquelles elle interdit de se refinancer auprès d’elle (elles pourront encore obtenir certains financements auprès de la Banque centrale grecque à des taux encore plus élevés dans le cadre d’une ligne d’urgence - Emergency Liquidity Assistance – révocable à tout moment). Cette décision, lourde de conséquences, risque à la fois de déclencher une vague spéculative contre la Grèce sur les marchés, mais aussi d’affoler la population grecque et de faire souffler un vent de panique bancaire dans le pays. En cela, la BCE fait un choix qu’il est très difficile de justifier. Il s’agit, selon Alexis Tsipras, d’un « chantage » contre le gouvernement grec, au moment où ce dernier fait la tournée des chancelleries européennes pour trouver la solution d’une négociation dans le cadre de l’Eurozone. Cette décision accélère la course vers la déstabilisation de la zone euro et pourrait conduire à forcer la Grèce à sortir de cette dernière, ce que ne souhaite pas le gouvernement Tsípras.
Par ailleurs, l’annonce de la BCE est intervenue peu de temps après la visite du premier ministre grec à François Hollande. Le président français a voulu tenir un rôle de médiateur entre la Grèce et, en particulier, Angela Merkel. Il n’a sans doute alors qu’une solution pour endosser ce rôle et empêcher que le scénario de la tension l’emporte au sein de la zone euro : désavouer la décision de la BCE qui risque de conduire à l’isolement de la Grèce, mais également à l’éclatement incontrôlé de la zone euro.