Fusion Fiat-PSA : pourquoi les Peugeot craignent de perdre le contrôle
C'est la dernière ligne droite avant l'annonce officielle ! Les constructeurs français, PSA Peugeot-Citroen, et italo-américain, FCA, Fiat-Chrysler Automobiles, s'apprêtent à boucler les négociations en vue de signer un protocole d'accord pour fusionner leurs activités. Des deux côtés des Alpes, on espère officialiser cet accord avant les fêtes de fin d'année. Selon l'agence Reuters, le conseil de surveillance de Fiat Chrysler doit se réunir mardi après-midi pour évoquer les prochaines étapes à engager dans le processus de fusion. Peugeot a lui aussi prévu la tenue d'une réunion lors de laquelle un protocole d'accord avec FCA pourrait être présenté, avaient déclaré certaines sources proches du constructeur français jeudi dernier.
Cette fusion doit propulser le nouvel ensemble au quatrième rang mondial du secteur, avec 9 millions d'automobiles produites par an. Pour Carlos Tavares, patron de PSA, cette consolidation doit lui permettre d'amortir les investissements en matière d'électrification, de voiture autonome ou encore de connectivité, sans parler des nouvelles plateformes et nouvelles motorisations. De son côté, Fiat Chrysler Automobiles va accéder à des technologies sur lesquelles le groupe avait fait l'impasse, notamment l'électrification, mais également des plateformes modernes.
Dilution et plus-value...
Depuis l'annonce de leur volonté de rapprochement, les deux parties ne cessent de parler d'une fusion entre égaux. Autrement dit, la nouvelle entité sera constituée à 50-50 des parts provenant des deux entreprises. Mathématiquement, cela signifie que chaque actionnaire verra sa participation dans leur entreprise respective, divisée par deux dans la nouvelle entité. Ainsi, la famille Peugeot qui détient environ 13% du capital de PSA, se verra diluée avec une participation de plus de 6% du nouveau groupe. Jamais, la famille fondatrice de la marque au lion n'aura eu si peu de contrôle sur celle-ci. Mais en ajoutant BPI France, le camp français cumulera une participation plus significative, de l'ordre de 13%. Pas trop loin donc de celle de la famille Elkann, héritière de la puissante famille Agnelli (du nom du fondateur de Fiat), qui aura une participation de 14% dans le nouvel ensemble (29% actuellement chez Fiat). C'est tout juste s'il est prévu que la famille Peugeot puisse augmenter sa participation de 2 points pour mieux équilibrer l'accord dans le cadre d'un pacte d'actionnaires plafonnant les parts des uns et des autres.
Cette perspective figerait la position dominante des actionnaires italiens. lI est par ailleurs prévu que John Elkann devienne le président du nouveau groupe, tandis que Carlos Tavares en serait le directeur général opérationnel.
Quant à DongFeng Motors, actionnaire de PSA à hauteur de 13%, il pourrait être conduit à retirer ses billes. Le groupe automobile chinois accueillerait avec plaisir la plus-value de sa prise de participation dans le groupe français en 2014 lorsque celui-ci était au plus bas. En outre, sa présence dans le capital pourrait poser un problème aux autorités américaines qui sont très attentifs aux actionnaires chinois dans leurs entreprises.
Un déséquilibre précaire...
Le noyau dur qui contrôle PSA (famille Peugeot, BPI France et DongFeng) ne sera donc pas reconduit au capital de la nouvelle entité, et la part des autres actionnaires restants sera diluée... Pour la famille Peugeot, il y a un risque de prise de contrôle de fait du nouveau groupe par la famille Elkann. La semaine dernière, et de concert avec Bpifrance, elle a demandé des précisions sur les modalités de gouvernance du nouveau groupe, dans le cas d'une succession de Carlos Tavares.
"La famille Peugeot et BPI, notamment, craignent que PSA ne perde son déséquilibre favorable si quelque chose arrive à Carlos Tavares", a indiqué à l'agence Reuters une source bien informée.
L'ambiguïté contractuelle réside sur la ventilation du conseil d'administration. Composé de 11 membres, la famille Elkann en nommera 5, tandis que les actionnaires de PSA en nommeront 5. Le onzième membre est Carlos Tavares. Sauf que pour l'heure, rien ne stipule si ce siège est attribué au camp français ou au camp italien en cas de disparition de celui-ci.
Les Peugeot veulent pérenniser un équilibre dans le rapport de force entre les deux familles d'actionnaire. Si le mandat de Carlos Tavares est de cinq ans, ils veulent voir au-delà, mais également anticiper un soudain "empêchement" du patron qui a redressé spectaculairement PSA. La disparition de Sergio Marchionne (Fiat), l'accident mortel de Christophe de Margerie (Total) ou l'arrestation de Carlos Ghosn (Renault) fournissent de nombreux exemples qui nécessitent d'anticiper une gouvernance pérenne.
Très riche famille Elkann
En outre, la famille Peugeot peut également craindre d'être à la merci d'un rapport de force financier qui lui sera défavorable. Depuis 15 ans, la famille Elkann s'est enrichi via les dividendes de la politique de financiarisation de FCA: coupes des budgets R&D, démantèlement des activités comme les camions, Ferrari ou encore Magneti-Marelli avec cession aux actionnaires. Enfin, il est question de percevoir un nouveau dividende exceptionnel à la faveur de cette fusion qui rapporterait près de 1,6 milliard d'euros supplémentaire.
"Nous disposerons d'une somme de 3,6 milliards d'euros pour des possibles acquisitions et investissements", a récemment déclaré John Elkann, tout en indiquant vouloir s'attaquer à l'Asie pour diversifier son portefeuille d'actions. Outre FCA, Exor, le holding familial, contrôle également CNH (l'ancienne branche camions et trucks de FCA), Ferrari.
En 2015, il a racheté 100% du groupe de réassurance PartnerRe pour près de 7 milliards d'euros. Plus anecdotique, mais non moins symbolique de la stratégie d'influence des Elkann, Exor contrôle la Juventus de Turin et vient de racheter deux journaux italiens de référence que sont La Repubblica et la Stampa. Il possède également le très puissant magazine économique anglo-saxon The Economist. Au premier semestre 2019, Exor a enregistré un bénéfice net de 3 milliards d'euros.
Avec 5 milliards d'euros d'actifs, FFP, le holding des Peugeot est loin de la puissance financière d'Exor. Il compte néanmoins quelques pépites comme une participation de 13% chez Seb, un groupe électroménager largement redressé, et 12% chez Safran, soit un acteur majeur du très dynamique secteur aéronautique et défense. Les Peugeot toucheront tout de même un dividende exceptionnel de l'ordre de 500 millions d'euros, à la faveur de la cession de l'équipementier Faurecia, que PSA contrôle encore à hauteur de 46%.
Les analystes "surpris" par la prime payée par Peugeot
Pour les analystes, c'est très clair: la famille Peugeot sort perdante de l'affaire. Alors que les contours du projet de fusion étaient précisés début novembre, les notes de brokers étaient unanimes: "la fusion va surtout profiter à FCA et à ses actionnaires". Deutsche Bank, Crédit Suisse, Jefferies ou UBS ont estimé que la prime payée par le camp français est comprise entre 28 et 32%... UBS estime que le groupe français va représenter les deux tiers de la valeur de la nouvelle entité alors que le deal est fixé à un échange de 50-50... Citi a jugé "surprenant" que PSA "surpaie" FCA et écrit que les termes du projet de fusion "sont fortement biaisés en faveur des actionnaires de FCA". Un broker va même jusqu'à écrire: Carlos Tavares et son équipe "ont dû voir quelques choses qui nous échappe".
Sur les estimations des synergies que la nouvelle entité prodiguerait, les avis sont très partagés. Si on regarde les gains des uns et des autres, on constate qu'il y a un déséquilibre entre les deux groupes. Ainsi, d'un côté, il y a un groupe français totalement restructuré avec des plans produits avancés sur chacune de ses marques et des technologies (moteur, électrification) tout à fait dans le timing. PSA profitera néanmoins des économies d'échelle autorisées par l'accession à un effet de taille conséquent. Il s'implantera également aux Etats-Unis, un marché longtemps lorgné mais jamais conquis. Enfin, Jeep et RAM sont les deux pépites de FCA qui, au-delà de leur profitabilité, sont de vrais outils de conquête internationaux.
FCA, un groupe fragilisé
De l'autre côté, FCA croule sous les insuffisances structurelles: des usines italiennes chroniquement sous-utilisées, l'absence de gamme électrifiée (ou qui n'arrivera qu'à rebours de la concurrence), des plateformes obsolètes, et des gammes vieillissantes pour ne pas dire complètement dépassées. La restructuration de FCA va coûter des dizaines de milliards d'euros. Pour le seul redressement d'une marque comme Alfa Romeo, les spécialistes estiment qu'il faudrait débourser entre 6 et 7 milliards d'euros. Mais il faudra aussi relancer Fiat, Maserati et Chrysler aux Etats-Unis.
Les analystes jugent les estimations de synergies de la fusion fournies par les deux groupes, autour de 3,7 milliards d'euros par an, de "probablement sous-évaluées". Ils rappellent que pour une taille quasi-équivalente, Renault et Nissan ont été capables d'aller jusqu'à 5 milliards d'euros d'économies annuelles. UBS calcule que FCA et PSA peuvent aller jusqu'à 6 milliards d'euros de synergies. Mais surtout, les analystes s'interrogent sur le partage de ces synergies et estiment que FCA sera celui qui en profitera le plus. Pour le cabinet de conseil aux actionnaires Proxinvest, on se dit également surpris "que les actionnaires du constructeur français paient une prime de contrôle implicite (...) alors qu'il n'y aura pas vraiment contrôle de PSA sur FCA".
Pour les marchés, la réussite de ce deal ne tiendra que sur la présence de Carlos Tavares. Le PDG de PSA jouit d'une aura exceptionnelle, lui qui a fait de PSA, et d'Opel, une cash-machine en quelques années. Ils estiment qu'il est le plus à même de piloter cette nouvelle structure vers le succès. Encore un autre actif qui n'est pas valorisé dans le deal avec FCA...