Mémoire de l’emprise soviétique, angoisse démographique, peur de disparaître : pour toutes ces raisons, les pays d’Europe centrale et orientale s’écartent du reste du continent. Leurs dirigeants jouent la partition du nationalisme et défient l’Union européenne.
Hongrie, Pologne, Slovaquie, République tchèque – les quatre pays du “Groupe de Visegrad” ne se reconnaissent pas dans les valeurs démocratiques de l’Ouest. Ils n’hésitent plus à revendiquer leur différence, et font le lit des partis populistes. Pour les comprendre, il faut
“une lecture est-européenne de la crise […] qui secoue l’UE”,
explique le politologue bulgare Ivan Krastev. Ils ont vécu le krach du communisme dans leur chair, l’intégration ratée de “l’Autre” - les Roms dans leurs sociétés – et face à l’afflux des migrants, ils se sentent comme “
des majorités menacées”. L’Europe de l’Ouest doit prendre conscience des traumatismes vécus, si elle veut contrer cette “
offensive réactionnaire”.
Vingt-huit ans après la chute du Mur, le rideau de fer est toujours là : alors que Vladimir Poutine avance ses pions en Europe, le tout jeune chancelier autrichien Sebastian Kurz pourrait bien jouer le rôle de médiateur entre l’Est et l’Ouest.
D’Istanbul à Helsinki, une pléiade de mini-Poutine
Avançant méthodiquement ses pions en Europe, le président russe Vladimir Poutine s’est constitué une véritable
“collection du Kremlin” rassemblant notamment son homologue hongrois Viktor Orbán, et le dirigeant tchèque, récemment réélu, Milos Zeman réputé proche de Moscou,
soutient Magyar Nemzet. “Ces amis de la Russie refusent de se laisser dicter leur conduite par Bruxelles ou Washington, et revendiquent la défense de leurs intérêts nationaux au même titre que Trump”, précise le quotidien de Budapest, qui inclut le président slovaque Robert Fico, le parti d’extrême droite allemand AfD, le président turc Recep Tayyip Erdogan, le président finlandais Sauli Niinistö et le président chypriote Nicos Anastasiades dans ce large cercle s’étendant d’Istanbul à Helsinki. Pour l’auteur de l’article, il s’agit surtout d’une tentative de
“renaissance conservatrice” à la faveur de l’affaiblissement des élites traditionnelles et de la crise de la mondialisation.
Croatie : à l’est, toute !
Depuis son adhésion en 2013 à l’
UE, la Croatie est retombée dans la démagogie nationaliste et s’écarte des valeurs européennes, accuse
Novi List. Selon le quotidien de Rijeka, les exemples ne manquent pas.
“C’en est fini de la mentalité de soumission, nous sommes maîtres chez nous, nous n’avons de comptes à rendre à personne, nous n’avons pas à nous justifier”, a déclaré Milijan Brkic, le vice-président de la
HDZ, parti conservateur au pouvoir.
“Dans l’univers de Brkic, l’UE n’existe pas, la communauté internationale et ses lois non plus, commente le journal.
Le révisionnisme historique [concernant le rôle du régime croate pronazi pendant la Seconde Guerre mondiale], et l’offensive des fondamentalistes catholiques sur les valeurs séculières, notamment dans la sphère politique et l’éducation, rangent la Croatie plutôt du côté des pays de l’Est. Quatre ans après son adhésion, la Croatie refait le chemin à l’envers.
”
Le Rideau de fer toujours présent
“Rares sont ceux qui auraient cru, lors de l’enthousiasme postcommuniste de 1990, que le fossé creusé par le Rideau de fer serait à ce point durable,” constate à Bucarest l’analyste roumain Valentin Naumescu. Pire,
explique-t-il sur le site généraliste HotNews.ro, “face à une Europe occidentale qui tente de se débarrasser des États-Unis de [Donald] Trump, qui favorise le renforcement d’un tandem franco-allemand n’acceptant plus les refus de l’Europe centrale, l’Est riposte par le renforcement du groupe de Visegrad, mais aussi par le lancement de l’Initiative des trois mers [pour le rapprochement commercial de 12 pays membres de l’
UE bordant les mers Baltique, Noire et Adriatique]”.
“L’occasion est trop belle pour Trump, poursuit l’auteur, qui renforce la présence et la stratégie américaines en Europe centrale. Les investissements stratégiques y sont en effet moins coûteux qu’en Occident […], elle est plus accessible et bien plus disposée à accepter la domination américaine, d’autant qu’elle redoute toujours autant la menace historique irréductible de la Russie”. Est-ce là, se demande Naumescu, la conséquence du fossé entre l’Est et l’Ouest, ou bien “l’Occident, qui a gagné toutes les guerres, est-il en train de perdre la paix ?”
Sebastian Kurz, médiateur entre l’Est et l’Ouest
Le jeune chancelier autrichien, Sebastian Kurz, a fermement écarté l’idée que son pays rejoigne le Groupe de Visegrad : “
Nous nous voyons comme une tête de pont dans l’Union européenne. Je voudrais une coopération étroite avec l’Allemagne et la France ainsi que d’autres pays. Et je voudrais en même temps un bon contact avec l’est de l’Europe.” Ainsi a-t-il résumé sa position après son arrivée au pouvoir, en décembre dernier, à la tête d’une coalition de droite et extrême droite (
ÖVP-
FPÖ).
“Orbán d’un côté, Macron de l’autre – ce sont les deux pôles entre lesquels Kurz entend se mouvoir dans les années qui viennent. Dans cette configuration, Merkel ne joue qu’un rôle subalterne”,
interprète Die Welt. Alors que l’Autriche s’apprête à assurer la présidence du Conseil européen au deuxième semestre 2018,
“Kurz va-t-il rebattre les cartes en Europe comme il le fait dans son pays ?”, s’interroge le quotidien conservateur berlinois. L’Allemagne n’a pas oublié que, lors de l’afflux massif de réfugiés en 2015, Sebastian Kurz, alors ministre des Affaires étrangères, s’est montré plus proche du Premier ministre hongrois, Viktor Orbán, que d’Angela Merkel. Dans cette phase charnière de l’histoire européenne,
“les alliances et les équilibres en Europe peuvent sensiblement bouger”, confirme un diplomate européen.