La fin du TPP : un non-événement aux conséquences majeures
Donald Trump l’avait promis pendant sa campagne électorale, il a
tenu parole dès son entrée à la Maison-Blanche : il a signé le 23
janvier un document qui met fin à la participation des Etats-Unis au
Traité de libre-échange Transpacifique (TPP).
Cette décision met de facto fin au traité, qui avait été mis en place à
l’initiative de l’administration Obama et rassemblait douze Etats soit,
aux côtés des Etats-Unis, le Canada, le Mexique, le Pérou, le Chili,
l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Japon, Singapour, la Malaisie, le
Vietnam et Brunei. Si le choix de Donald Trump de mettre un terme à un
accord dont il a dénoncé le contenu n’est pas en soi un évènement
majeur, il donne un avant-goût de ce que sera la politique américaine en
Asie-Pacifique, et ouvre une nouvelle ère dans le rapport de force avec
la Chine, contre laquelle le TPP avait été pensé. En ce sens, ses
conséquences seront majeures, et pas uniquement limitées aux échanges
économiques et commerciaux.
Le TPP, un traité limité
Lors de sa signature, qui concluait un long cycle de négociations, le
TPP fut présenté comme un accord de libre-échange rassemblant plus de
800 millions de personnes, et pesant autour de 40 % du PIB mondial. Mais
derrière ces chiffres à première vue impressionnants se cache la
réalité d’un traité à la portée limitée, en particulier sur son volet
asiatique. Seuls cinq pays du continent l’ont signé, et le Japon est
parmi eux le seul membre du G20. La Corée du Sud, qui a déjà un accord
de libre-échange avec les Etats-Unis, n’en fait pas partie, l’Indonésie
non plus, et la Chine en fut délibérément exclue, l’objectif du TPP
étant précisément de constituer un front face à la montée en puissance
de la Chine dans ses aspects économiques et commerciaux à échelle de son
continent (et accessoirement du monde). En clair, le TPP était beaucoup
plus modeste dans ses leviers que dans ses ambitions, et pouvait même
sembler dérisoire en comparaison avec l’intensification des échanges
entre la Chine et ses voisins qu’il avait vocation, mais pas les moyens,
de contrer.
Côté américain, ce traité était présenté comme un moyen de relancer
l’économie. Selon la commission américaine du commerce international
(USITC), le TPP aurait permis aux Etats-Unis d’accroître le PIB de 0,15 %
d’ici 2032, et de gonfler ses exportations de 1 %. Au-delà du fait que
cela reste relativement modeste (si nous parlons bien ici de 40 % du PIB
mondial), ces estimations restent discutables, et n’apportent pas
nécessairement de plus-value par rapport à la multiplication d’accords
bilatéraux, à la manière de celui qui existe avec la Corée du Sud.
Dans son contenu ensuite, l’accord contient 30 chapitres qui portent sur
la réduction des droits de douanes, mais aussi la propriété
intellectuelle, l’environnement, le droit du travail, l’accès aux
marchés publics, ou encore un accord de protection des investissements.
Sur ces différents points, on relève de multiples zones d’ombres aux
effets incertains sur l’économie et l’emploi aux Etats-Unis justifiant
la posture de Donald Trump, mais aussi un grand flou sur la capacité de
certains pays signataires de « se mettre au niveau », compte-tenu des
immenses déséquilibres économiques et sociaux entre les 12 membres,
auxquels s’ajoutent des disparités politiques majeures. Bref, le TPP
avait été, avant même sa signature, dénoncé par ses détracteurs comme un
accord mal conçu, et difficilement applicable.
Rappelons enfin que ce traité, signé à Auckland fin février 2016, n’est
pas encore entré en vigueur, et son annulation confirme un statut de
mort-né plutôt qu’un retour en arrière. Pour ces différentes raisons, la
décision de Donald Trump n’est pas spectaculaire, car annoncée, et elle
ne concerne pas non plus un traité dont il est possible de mesurer la
portée.
La Chine en embuscade
La Chine n’a pas tardé à prendre les devants dans cet après-TPP qui se
profile, anticipant même le retrait annoncé des Etats-Unis. Ainsi, à
l’occasion d’un sommet de l’APEC les 21 et 22 janvier, et quelques jours
après ses propos lors du forum de Davos, le président chinois Xi
Jinping a invité son pays et ses voisins à mettre en place un
partenariat économique régional intégral. Le projet est ambitieux,
puisqu’il doit inclure en plus de la Chine, les pays de l’ASEAN, l’Inde
et l’Australie. Et il rejette dans le même temps toute participation des
Etats-Unis (que l’on imagine difficilement Donald Trump cautionner de
toute façon). Cette position de Pékin n’est pas surprenante, d’abord
parce que la Chine a toujours perçu, à raison, le TPP comme directement
dirigé contre elle, mais aussi parce que les dirigeants ont multiplié
les initiatives de leur côté, afin justement de le contrer.
L’annonce de l’administration Trump est donc une victoire pour Pékin,
qui voit le terrain se dégager, et on peut aisément imaginer que de
nombreux membres du TPP vont se rapprocher de la Chine, avec laquelle
ils entretiennent déjà des relations économiques et commerciales très
importantes. Des pays comme Singapour, la Malaisie, l’Australie, et même
le Vietnam ont ainsi déjà manifesté leur intérêt pour l’initiative de
Pékin, tournant ainsi très rapidement le dos au TPP. Et les autres
membres de l’ASEAN suivront. Au final, à l’exception du Japon qui se
retrouve orphelin du TPP, en dépit des efforts de Shinzo Abe, premier
dirigeant étranger étant venu féliciter à New York Donald Trump après
son élection, les pays asiatiques ont déjà remplacé les Etats-Unis par
la Chine comme partenaire économique et commercial vers lequel ils vont
se tourner.
Il convient d’ajouter à ces intentions chinoises les multiples
initiatives entreprises depuis quelques années, dont la création de la
Banque asiatique d’investissements dans les infrastructures (AIIB) est
la plus significative. Là aussi, les pays asiatiques y sont quasiment
tous membres (à l’exception du Japon), et les Etats-Unis n’en font pas
partie (à l’inverse des principales économies européennes). Si le TPP
disparait, l’AIIB va de son côté poursuivre ses activités et même se
renforcer, ce qui illustre encore le poids grandissant de la Chine dans
son environnement régional, que le TPP n’est jamais parvenu à remettre
en question. L’accord mis sur pied par le tandem Obama-Clinton faisait
sens en ce qu’il cherchait à contrer l’expansion chinoise, sa
disparition laisse la porte grande ouverte à Pékin.
La fin du pivot vers l’Asie
Reste la portée politique de la décision de Donald Trump, qui signe ni
plus ni moins l’arrêt de mort de la stratégie du pivot, initiée dès
l’arrivée au pouvoir de Barack Obama en 2009 et la tournée d’Hillary
Clinton (sa première en tant que Secrétaire d’Etat) en Asie (Japon,
Corée du Sud, Chine et Indonésie), et officialisée en 2011. Le TPP fut
présenté comme l’une des principales concrétisations de cette stratégie
de repositionnement en Asie, aux côtés d’accords stratégiques avec
différents pays de la région. Alors en campagne, Donald Trump a
violemment condamné la présence militaire au Japon et en Corée du Sud,
en accord avec les partenariats stratégiques en vigueur avec ces deux
pays, ainsi que le parapluie nucléaire américain dont bénéficient Tokyo
et Séoul (dans le cas d’une éventuelle agression nord-coréenne). Trump a
même suggéré que ces deux pays prennent en main leur destinée
sécuritaire, quitte à se doter de l’arme nucléaire pour faire face aux
gesticulations de Pyongyang.
En Asie du Sud-est, la stratégie du pivot a démontré ses limites fin
2016, avec le revirement des Philippines, lorsque Rodrigo Duterte a fait
savoir, lors de sa visite officielle à Pékin (20 octobre 2016), qu’il
tournerait le dos aux États-Unis, l’allié traditionnel, et qu’il se
rapprocherait de la Chine. Certes, la Chine est un voisin encombrant,
mais Manille ne peut l’ignorer, d’autant que sa capacité
d’investissement (ainsi que l’aide au développement), jamais
défaillante, est difficile à refuser. Il a été suivi de quelques jours
par le Premier ministre malaisien, Najib Razak, qui a annoncé depuis
Pékin, où il était lui-aussi en visite officielle, l’établissement de
liens militaires plus étroits avec la Chine. Ces revirements traduisent
le peu de crédit que les alliés de Washington placent dans la nouvelle
administration Trump et sa politique asiatique. Et c’est la Chine qui en
est le principal bénéficiaire.
Reste donc à savoir à quoi ressemblera la relation entre les Etats-Unis
et la Chine, étant donné que la « politique asiatique » de Washington
est avant tout une politique chinoise.
Pour l’heure, la Chine est plus à la recherche d’un compromis que d’une
confrontation, mais un compromis qui se ferait assez nettement à son
avantage, traduisant ainsi la position de force dans laquelle l’empire
du milieu se trouve en Asie-Pacifique. L’Armée Populaire de Libération
(APL) verrait même d’un bon œil une sorte de « Yalta du Pacifique » dans
lequel le Pacifique Est serait sous tutelle américaine, et le Pacifique
Ouest sous tutelle chinoise, ce qui marquerait le leadership chinois
sur la rive asiatique, mais dans le même temps impliquerait de plus
grandes rivalités entre les deux pays dans le Pacifique. La stratégie du
pivot semblait être une réponse par la négative à ce partage du
Pacifique, et était dès lors être perçue à Pékin comme une volonté
manifeste de renforcer la rivalité. Et pourtant, la question d’un
grand bargain
est souvent évoquée dans les cercles stratégiques et académiques
américains défendant les thèses réalistes. En mettant fin au TPP, Trump
ne fait que relancer l’idée selon laquelle ce grand bargain pourrait
rapidement devenir le fondement de la politique étrangère américaine en
Asie.